Dans 12 hommes en colère, lorsque le jury se réunit pour décider de la culpabilité ou non du jeune garçon accusé d’avoir tué son père, tout le monde pense que la délibération sera minimale tant tout semble incriminer le jeune homme. Pourtant, lors du vote initial qui ouvre les délibérations, 1 voix parmi les 12 se prononce pour la non-culpabilité, celle de l’architecte, le juré n°8 en suivant le tour de table, interprété par Henry Fonda. Et comme la décision de culpabilité ou non ne peut être prise qu’à l’unanimité, cela signifie qu’aucun verdict ne peut être prononcé. Comme le souligne Fonda, ‘‘il va falloir discuter’’.
Au début, devant la puissance du camp des ‘‘coupable’’, Henry Fonda doit ruser : il gagne du temps, résiste tant bien que mal aux déclarations incantatoires de ses opposants. Sa ligne de conduite est simple : ‘‘Je ne sais pas si l’accusé est coupable ou non. Je vous dis simplement que j’ai des doutes.’’ Son scepticisme a le don d’irriter nombre de jurés, intimement convaincus que l’accusé est coupable et qu’il n’y a pas lieu de ‘‘couper les cheveux en quatre’’.
Au bout de 20 minutes (et croyez-moi c’est long 20 minutes quand on est seul contre 11 gaillards sûrs de leur fait !), Fonda tente le tout pour le tout. Il propose un vote. Mais un vote particulier, puisqu’il déclare vouloir se mettre à l’écart en ne votant pas, puis se ranger à l’avis général si tant est qu’une unanimité se dégage du scrutin. La seule concession qu’il demande en contrepartie de cette attitude chevaleresque, c’est que le vote ait lieu à bulletin secret – et non à main levée comme cela avait été le cas lors de la première consultation.
La suggestion de Fonda est retenue. Le vote a lieu. Et au moment où le président du jury dépouille les bulletins, coup de théâtre, un juré s’est prononcé pour ‘‘non coupable’’. La surprise est totale. Fonda, l’architecte, jubile intérieurement. La discussion va continuer et cette fois-ci, il n’est plus seul. Quant aux autres, ils sont consternés. Le ‘‘self made man’’ (N°3 autour de la table) sort de ses gonds. Il s’en prend directement au chômeur des quartiers défavorisés (N°5 autour de la table) et l’accuse d’être une chiffe molle, incapable de s’en tenir à ses convictions. N°5 se défend à peine. N°3 s’emballe littéralement. Au point que N°9, un vieil homme à l’apparence falote prend la parole et déclare être le responsable du vote ‘‘non coupable’’. Il s’en explique. N°3 se rend compte alors de sa méprise et s’excuse piteusement auprès de n°5. Mais le mal est fait. Alors que la conversation s’enlise autour de l’évocation des différentes ‘‘preuves’’ compromettant l’accusé, N°5 – pourtant si mal à l’aise dans la prise de parole jusqu’ici – interrompt tout le monde et déclare rejoindre le camp des ‘‘non coupable’’. Un nouveau vote a lieu : 9 ‘‘coupable’’ contre 3 ‘‘non coupable’’.
La discussion redémarre. L’immigré juif polonais, horloger de profession, prend la parole. Il énonce sa surprise devant le fait que le jeune homme se soit jeté dans la bouche du loup en retournant sur les lieux du crime sur le coup des 3 heures du matin. Il est méticuleux dans l'exposé des faits et montre un souci sincère de faire avancer le débat. Pourtant, il se fait interrompre sèchement par les défenseurs de l’option ‘‘coupable’’. Dépité, il se tait. Mais 3 minutes plus tard, nouveau rebondissement : il annonce son souhait de rejoindre le camp des ‘‘non coupable’’.
Le chômeur et l’horloger sont les deux premiers jurés à dévoiler publiquement leur intention de changer de camp. A la base de ce comportement, deux vexations subies : l’accusation infondée dans le premier cas, le dédain, voire le déni, dans l’autre. En faisant preuve d’irrespect vis-à-vis des personnes, les tenants du ‘‘coupable’’ se sont aliénés deux voix. Sur le plan du résultat, le préjudice peut paraître marginal puisque le camp des défenseurs de la peine capitale sont toujours en majorité (8 contre 4) après cela. Pourtant, comme la suite le montrera, le basculement de N°5 et N°11 chez les défenseurs de l’amnistie change singulièrement le rapport de force général. A 4 contre 8, on ne se contente pas de parer les coups, on peut commencer à lancer des contre-attaques. Et quelques escarmouches réussies vont donner confiance au camp de l’architecte. Le chemin de la victoire peut enfin se dessiner…
La leçon ici est claire : en matière de négociation, attaquer les personnes est une attitude nuisible par excellence. Il n’y a rien de bon à en attendre. Alors si, dans le cours de la négociation, vous sentez monter en vous l’envie de rentrer dans la baston et de renvoyer coup pour coup, respirez profondément, regardez vos pieds (je ne sais pas pourquoi, mais regarder mes pieds m’a toujours calmé). Ne dites rien tant que vous vous sentez la proie d’une émotion débordante. Enfin, quand vous vous sentez apte à faire usage de la parole sans sombrer dans la colère, proposez un recadrage de la conversation autour des enjeux. La phrase magique ici est : ‘‘Je voudrais revenir sur ____________’’.
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Vous trouverez autour de ce film trois autres billets :
- L’importance des temps morts, des moments de respiration, dans la négociation ;
- La maïeutique comme dynamique de dialogue ;
- L'art de créer de l'intensité dramatique tout en respectant l'unité de temps.
Quelle belle métaphore. J'en prends acte et je regarderai mes pieds plus souvent à l'avenir ! Merci encore pour tes contributions.
Rédigé par : Jérôme MOREL | 21/09/2011 à 10:38
Ben oui... Le coup des pieds marche bien pour moi, je regarde mes pieds, je m'abstrais un court instant à la frénésie de l'instant, j'oublie un peu mes tripes qui bouillonnent de colère et je me remets... en ordre de marche.
Sur le plan symbolique, c'est peut-être un moyen aussi de me rappeler de ne pas céder à l'impératif de l'action immédiate, de ne pas sombrer dans la répétition du mal, personnifiée par Oedipe, dont le nom veut dire littéralement "le boiteux".
Rédigé par : Jean-Marc à Jérôme Morel | 01/10/2011 à 14:16