Vendredi dernier, alors que j'attendais dans les locaux de Kerensen Consulting, Alain Attias, un des associés de la société, m'a gentiment offert le livre "Digital Body Language" de Steven Woods, fondateur d'Eloqua.
Comme vous le savez sans doute, je suis très intrigué par les transformations qu'induit l'utilisation d'internet dans le comportement des clients et le titre prometteur de ce livre m'avait laissé penser que j'allais y faire des découvertes passionnantes.
Et c'est bien ce qui s'est passé, si ce n'est que ces découvertes m'ont plongé dans la plus grande hébétude.
En effet, au chapitre des recommandations, je découvrais cette vision étrange du processus de génération de revenus en 5 étapes allant de la 1ère interaction entre un prospect et vous jusqu'à la conclusion d'une affaire en passant par des échelons de maturité croissante des leads :
En première apparence, cette représentation tient la route. Elle est équilibrée entre ventes et marketing.
Pourtant, elle repose sur une grossière erreur de logique. En effet, elle mélange allègrement des étapes illustrant un comportement prospect (1, 2 par exemple) avec une étape (la 3) traduisant, elle, la résolution d'un problème interne bien connu : le transfert des leads du marketing vers la vente. Aberration dans la construction du processus, donc.
Mais il y a pire. Ce processus est un ticket simple pour l'échec garanti. Et ce n'est pas moi qui le dit ! C'est... Steven Woods lui-même qui l'énonce dans son propre livre, quelques dizaines de pages avant de formuler sa recommandation sur le processus "idéal". A l'appui d'une étude du cabinet de conseil, SiriusDecisions, spécialisé sur les thématiques concernant l'efficacité combinée de la vente et du marketing, il montre combien le fait de demander aux vendeurs de "qualifier" les leads en provenance du marketing constitue une activité contre-productive. Les résultats sont sans appel : sur 100 leads disqualifiés par les vendeurs, 80 se transforment en ventes... pour la concurrence !
De la même façon qu'il est aberrant de demander à un commercial de formuler un forecast sur ce qu'il va signer (ici et là), il est tout aussi déraisonnable de donner à ce même commercial un droit d'acceptation/refus sur un lead. Mais là où on frise la démence intellectuelle, c'est quand même quand on se met à préconiser une démarche dont on vient de prouver l'inefficacité patente.
Bouleversifiant, non ?
Ah cher Jean-Marc, je reconnais bien là tes remises en question sur ces sujets de lead gen. Alors, d'après toi, quel est le process idéal ?
Rédigé par : Sophie Callies | 14/02/2012 à 14:59
Chère Sophie,
Cela m'a fait plaisir de voir que tu m'avais laissé un commentaire.
La question que tu poses est clé. J'y réfléchis depuis maintenant un peu de temps. A défaut de te répondre de façon formelle et péremptoire sur ce à quoi devrait ressembler un processus "idéal", j'ai plaisir à partager avec toi quelques observations faites récemment sur le terrain :
1. Avoir deux processus, 1 pour la vente et un pour le marketing est une bêtise. Il en faut 1 et 1 seul pour couvrir l'ensemble du parcours client. Là-dessus, les acteurs du "marketing automation" ont bien joué le coup.
2. La question du passage de témoin entre marketing et vente, en revanche, ne devrait en aucun cas requérir l'approbation du commercial, sous peine de créer un goulet d'étranglement à ce niveau. Chez certains acteurs ayant mis en place le modèle MQL, SAL, SQL décrit plus haut, le % de déchet entre le marketing et la vente est de... 98%. Pourquoi ? Parce que les commerciaux ont suffisamment de pipeline par eux-mêmes pour faire leur chiffre. Les leads en provenance du marketing sont pour eux une source d'ennui et de distraction plutôt qu'autre chose. Un beau gâchis, non ?
3. Les commerciaux ne sont pas aptes à juger de la qualité des leads ; seuls les clients sont en mesure de décider s'ils sont engagés (avec ou sans l'aide du commercial) sur une démarche d'achat. Par suite, c'est à l'observation du comportement du prospect qu'il est possible de déterminer s'il y a opportunité ou non. Et s'il est un point commun à tout client qui achète, c'est bien qu'à un moment donné, il a reconnu en interne un objectif d'amélioration et qu'il estime nécessaire de faire appel à l'extérieur pour trouver les moyens d'atteindre cet objectif.
4. Par suite, le seul critère objectif de passage de témoin entre marketing et vente doit être... la reconnaissance par le client d'un enjeu d'amélioration, d'un objectif métier ou d'un problème digne d'être résolu à travers une utilisation particulière des produits ou services du vendeur.
Les implications sont multiples :
1. Mesurer la performance du marketing est une aberration. Le marketing doit être mesuré sur le nombre d'opportunités générées. Period.
2. Dès lors que les vendeurs reçoivent non plus des leads (quel que soit leur score), mais des opportunités validées par... le prospect, ils n'ont plus à exercer de jugement de valeur (si subjectif et si médiocre comme démontré par SiriusDecisions).
3. Le processus doit en revanche comporter des boucles de rétroaction. Si alors qu'une opportunité a été passée aux ventes, le commercial en charge découvre que les conditions ne sont pas réunies pour évoluer vers une conclusion favorable, ou qu'un délai trop long s'est écoulé sans évolution de l'opportunité, cette dernière repasse au marketing sous la forme de lead. Elle est biberonnée à nouveau (nurturing).
4. Marketing et ventes sont mesurés sur le même indicateur : le chiffre d'affaires. Period.
C'est juste un début.
Je suis certain que je reviendrai prochainement sur ce sujet dans les jours ou les semaines qui viennent, tant je le trouve passionnant.
En attendant, je t'invite à faire un tour sur le tarvail réalisé par Craig Rosenberg sur la question. En particulier, j'ai adoré la série d'interviews qu'il a faite auprès de directeurs marketing de boîtes pour comprendre quel était leur processus allant de la génération de demande à la réalisation de CA. C'est une série qu'il a intitulée "Focus Experts' Guide: Sales and Marketing Pipeline and Funnel Models". C'est sur le site de Ziff Davis et téléchargeable ici: http://b2b.ziffdavis.com/research/focus-experts-guide-sales-marketing-pipeline-and-funnel-/
Au plaisir Sophie,
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Sophie Callies | 14/02/2012 à 22:39