Lorsque
j’anime des ateliers de formation commerciale CustomerCentric Selling®, je mets
systématiquement en garde les participants sur les dangers à exprimer des
opinions quand on est vendeur. Je pose régulièrement la question : “selon vous, quelle est la valeur que les
clients allouent à l’opinion d’un vendeur ?” Après quelques secondes
d’hésitation, la réponse vient généralement sous la forme d’un “pas grand chose”. Et moi d’appuyer derrière, en lançant un
tonitruant “zéro”. Je joins alors le geste à la parole en construisant un cercle à l’aide de mon
pouce et de de mon index et en me le plaquant brutalement sur mon front. Zéro, nib, nada...
C’était jusqu’à présent ma façon de faire comprendre aux participants à mes ateliers de formation combien il devaient éviter les formulations de type : “Nous avons fait gagner ___ millions d’euros à nos clients”, “nos solutions sont efficaces”, autant d’opinions dont l’expression n’amène rien à la dynamique d’échange avec le client, quand elle n’agace pas au plus haut point.
Pourtant, jusqu’à présent, il me faut bien reconnaître que je ne faisais qu’énoncer une… opinion de plus, ce qui, au nom même du principe évoqué plus haut, en rendait la valeur très discutable, pour ne pas dire nulle. Touché !
Si ce n’est qu’aujourd’hui, je suis en mesure de vous apporter la preuve de ce que j’avançais. Cette preuve, je l’ai trouvée au hasard de mes lectures de fin d’année, en parcourant le livre de Dan Ariely intitulé “Predictably Irrational”. Dans un chapitre consacré au cycle de la défiance, l’auteur s’intéresse à la question de savoir pourquoi nous n’accordons qu’un crédit limité à ce qui sort de la bouche des gens de la vente et du marketing.
Il évoque une expérience toute simple organisée auprès d’étudiants de l’université de Chicago, appelés à se prononcer sur les qualités d’un nouveau modèle de chaîne stereo appelée Azur et commercialisée par une société fictive répondant au doux nom de Cambridge Audio.
Avant de se plonger dans l’évaluation du produit Azur, les étudiants se voient proposer une brochure décrivant par le menu les fonctionnalités de l’équipement. Mais la ruse tient au fait que pour la moitié des personnnes impliquées dans l’évaluation, la brochure est signée Cambridge Audio, quand pour l’autre moitié, il est stipulé qu’elle résulte d’une compilation de revues et tests effectués par des consommateurs.
À l’issue de la remise de la brochure, les participants passent une demi-heure à écouter une composition de Bach, puis à bidouiller eux-mêmes l’équipement pour apprécier le rendu des aigus ou des graves, la balance, les distorsions, que sais-je encore.
Étrangement, le groupe de participants ayant reçu la brochure correspondant pretendûment à des avis de consommateurs a une opinion beaucoup plus positive sur le produit Azur, que celui qui croit disposer entre ses mains de la brochure éditée par le constructeur. À la question de savoir combien ils sont prêts à mettre pour acheter la chaîne stéréo, le premier groupe indique un montant moyen de 407 dollars, quand le second groupe énonce ne pas vouloir payer plus de 282 dollars.
D’un côté, ce résultat me remplit de joie, puisqu’il corrobore une opinion que je me suis forgée au fil de mes interactions commerciales. Mais d’un autre côté, il me glace. En effet, cette expérience montre combien le niveau de défiance que nous nourrissons à l’égard des marques en général peut aller jusqu’à altérer l’impartialité de nos jugements. Pour autant, le constat a le mérite d’être clair : à chaque fois que votre client vous amène sur le terrain glissant de l’expression d’opinions – avec des questions aussi anodines que “comment vous positionnez-vous par rapport à XXX ?”, désengagez-vous. Résistez à l’envie de dire tout le mal que vous pensez de votre concurrent et, par opposition, toutes les merveilles associées à votre offre. En bon héritier de l’enseignement socratique, amenez votre interlocuteur à se forger lui-même son opinion sur vous en veillant, à travers un jeu adroit de questions et de suggestions ou plus simplement l’évocation de faits non sujets à caution à ce que cette dernière soit la plus positive possible.
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