Le roi était triste. La princesse, sa fille
adorée, se disait malade et refusait obstinément de se lever tant qu’on ne lui
donnerait pas la lune.
Devant l’énormité de la demande, le roi convoque immédiatement son conseil. Il expose la situation critique dans laquelle se trouve la princesse, sa fille. Les membres du conseil se mettent en quête de solution. Le grand général des armées est le premier à prendre la parole. « Je tiens la solution à votre problème, Majesté », s’écrie-t-il. Une exclamation de surprise admirative parcourt l’assemblée. « Mais parle donc », lui enjoint le roi. Et le général des armées d’affirmer : « C’est simple. Il suffit de se munir d’une arbalète géante et de tirer une flèche en direction de la lune. Naturellement, au préalable, on aura bien pris soin d’accrocher un filin d’acier à son penne. Et une fois que la flèche se sera enfichée dans le sol du luminaire céleste, il nous suffira de quelques fiers à bras pour tirer sur le filin d’acier et ramener la lune sur la terre ». Le roi se réjouit et se congratule par devers lui d’avoir nommé un individu aussi brillant à la tête de ses armées. « Hélas », soupire le général, « ça ne peut pas marcher ». « Mais pourquoi pas ? », s’enquiert le roi. « Parce qu’il n’y a pas assez d’acier sur la terre entière pour construire un filin de la longueur séparant la terre de la lune ».
Après quelques secondes de silence, le grand chambellan se lève en déclarant pouvoir satisfaire le caprice de la princesse. « Voilà », dit-il. « J’ai bien réfléchi à la question. Il suffit de construire une ziggourat si haute qu’elle atteigne la lune. Une fois cela fait, il suffira d’envoyer au sommet de la tour l’homme le plus costaud du royaume. Il se fera fort de poser la lune sur ses épaules robustes, puis il la ramènera sur terre pour l’offrir à votre fille ». Là encore, le roi explose de joie. Une allégresse de courte durée, pourtant. Car voilà que le chambellan reprend la parole. « Malheureusement, Sire, nous ne pourrons pas mettre ce plan à exécution. Pour construire cette ziggourat, il faudrait une quantité astronomique de pierres et la terre entière ne saurait y pourvoir ». Le roi est consterné. Il balaye rapidement l’assemblée pour vérifier s’il n’y a pas d’autres suggestions. Mais les membres du conseil arborent tous une mine contristée et une gibbosité qui a défaut d’être lunaire n’en reflète pas moins un vif sentiment d’impuissance.
Le roi dissout la séance. En quittant la salle du conseil, il tombe sur son fou, qui, s’inquiète de voir son maître avec une mine aussi pitoyable. Le roi lui explique toute l’affaire. Le fou demande alors : « M’autorisez-vous, Majesté, à aller voir votre fille, la princesse ? » Le roi obtempère.
Une fois rendu dans la chambre de la jeune fille, le fou lui demande :
- Dites-moi, princesse, qu’est-ce que c’est pour vous, la lune ?
- Mais c’est bien simple, le fou. Tu vois, quand je pointe mon doigt dans sa direction, la lune m’apparaît comme un croissant d’une blancheur laiteuse de la taille d’un ongle.
En sortant de son entrevue avec la princesse, le fou se rend aux ateliers de la couronne et demande à un maître joailler de sertir un croissant d’ivoire sur un écrin. Une fois la pièce d’orfèvrerie ouvragée, le fou l’amène à la princesse et la lui offre. La fille du roi est folle de joie. Incontinent, elle se lève, embrasse le fou avec force effusion et va voir son père pour lui annoncer la grande nouvelle.
Le roi n’en revient pas. Sa fille s'est levée de sa propre initiative ; elle a retrouvé fraîcheur et joie de vivre. Incontinent, le roi félicite le fou pour son ingéniosité et sa perspicacité.
Pourtant, quand le roi annonce la grande nouvelle à son conseil, il voit les mines se rembrunir. « Ce fou est un idiot », tempête le général. « Quelle inconséquence ! Comment croyez-vous que va réagir votre fille quand elle verra dès ce soir, à la nuit tombée, que la lune brille toujours dans le ciel ? »
Convaincu par la pertinence du propos, le roi est furieux. Il sermonne le fou en le traitant de tous les noms d’oiseau. Le fou, lui, encaisse du mieux qu’il peut. Il ose pourtant une demande : « M’autorisez-vous à revoir la princesse, Majesté ? Je souhaiterais lui parler à nouveau ». De dépit, le roi accepte.
Voilà le fou à nouveau devant la princesse. Cette dernière exulte en arborant fièrement sa lune en pendentif.
- Dites-moi, princesse, que direz-vous si ce soir, le ciel est dégagé et que vous voyez la lune réapparaître au firmament ?
- Comme tu es bête, le fou. Pas étonnant qu’on t’ait donné ce sobriquet… Regarde un peu. Quand tu coupes un ongle, il repousse. Quand tu coupes une rose, elle repousse. Quand un lézard se coupe la queue, elle repousse. Eh bien, la lune, c’est pareil.
Voilà. Maintenant vous savez. Si un client vous demande la lune, ne vous échinez pas à la lui donner. Demandez-lui plutôt ce qu’est la lune pour lui. Vous aurez peut-être des surprises. Mieux, il est possible que vous soyez capable de satisfaire ce qui, de prime abord, ressemblait à une demande inconsidérée, un caprice empreint de folie.
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PS. Un grand merci à Patrick Condamin pour m'avoir raconté cette belle histoire.
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