Quand je donne des cours de vente
autour de la méthodologie CustomerCentric Selling®, je montre l’inanité des
messages marketing vantant les mérites des offres avec force adjectifs
ronflants. Vous savez, ces affirmations idiotes assenées sous la forme de
slogans du type : “mon produit est
efficace, performant et robuste”. Je mets aussi les participants en garde afce
à ce que j’appelle le délit
d’appropriation indue, celui qui consiste à prêter au produit des
propriétés magiques comme celle par exemple de résoudre mes problèmes, qu’ils
soient d’argent, de bonheur ou plus trivialement d’érection. Le comble de
l’ineptie, leur dis-je, c’est quand vous couplez l’utilisation des adjectifs
vides de sens avec la fameuse appropriation illégitime, avec des affirmations
du type : “Grâce à son caractère
performant, efficace et innovant, mon produit va résoudre vos problèmes de
(_______) et vous permettre de (___________)”. Comme si un produit/une
technologie, bref, une chose inanimée, pouvait “faire” des choses, sans le
concours d’un être doté de volition…
À ce moment-là du stage, les participants visualisent parfaitement combien les messages structurés de cette façon sont ineptes et improductifs. Doublement impertinents, même, car ils insultent l’intelligence du client et, ce faisant, font passer complètement à côté de la plaque. En général, ils rigolent aussi. Les commentaires fusent, mêlant auto-dérision (“Mais, c’est pourtant ce que je dis tous les jours…”) et critique en coupe serrée du discours marketing (“Vous faites ce cours aux gens de marketing ?”)
Une fois arrivé à ce stade, je demande aux participants s’ils souhaiteraient apprendre une méthode leur permettant d’éviter de tomber dans les travers du discours marketing de bas étage décrié plus haut. J’obtiens en general un “oui” tonitruant. Je leur suggère alors un de privilégier la formulation de scénarios d’utilisation à celle de slogans “marketing”. Et pour faire bonne figure, je leur propose un canevas, une trame pour construire de bons scénarios d’utilisation :
- Ancrer le scénario dans le rappel d’un contexte, d’un événement familier auquel l’interlocuteur client peut facilement se rattacher ;
- Comme il s’agit d’un scénario et qu’on sollicite l’intelligence de l’interlocuteur client, le formuler comme une question et non une affirmation ;
- Puis décrire, de façon aussi cinématographique que possible, une séquence d’actions que des personnes en chair et en os accompliraient pour peu qu’elles aient le produit ou service commercialisé à leur disposition.
A supposer que vous soyez un vendeur de piscines et que vous parliez à un couple de jeunes mariés, frustrés de devoir trimballer les enfants à la plage tous les après-midi d’été alors qu’ils préfèreraient profiter de la chaleur pour faire de jolies siestes crapuleuses, vous pourriez, en suivant le canevas proposé, proposer un énoncé du type :
« Il est 3 heures. Dehors, il règne une chaleur insupportable et les cigales s’en donnent à cœur joie. Vos enfants vous tannent pour que vous les ameniez à la plage, distante de 30 kilomètres et de 2 heures en prenant en compte les bouchons et la difficulté de trouver une place à cette heure-là de la journée… N’est-ce pas dans ces circonstances-là que vous apprécieriez de pouvoir laisser les enfants jouer à la piscine ? » et, sous-entendu, de vous adonner à ces activités de libertinage que la décence m'interdit de nommer.
Tout vendeur aguerri sait combien savoir planter le décor est essentiel pour aider le client à se projeter dans l’utilisation de ce qu’il commercialise.
Et plus les offres sont complexes et les usages imprévisibles, plus cette approche est adaptée. Très récemment, alors que j’intervenais auprès d’un fabricant de photocopieurs, je fus émerveillé de découvrir la variété des choses qu’il était possible de faire avec ces machines. Il faut dire que j’eus la chance de tomber sur un groupe de vendeurs particulièrement affutés qui n’eurent pas la moindre difficulté à s’approprier la méthode que je leur proposais.
Pourtant, ce n’est pas le lot commun. En général, les commerciaux ont du mal à passer de l’éloge des caractéristiques produits à la mise en scène de l’usage. Avec à la clé, un paradoxe que j’ai pu noter au fil de mes interventions : plus ils sont diplômés, plus les boîtes qui les emploient sont riches en moyens marketing, moins ils sont bons. Pire même. Ils croient bien faire en étant dans la reproduction du bon vieux message marketing de glorification auto-proclamée. Cela donne des énoncés du genre : « Et si vous disposiez d’une solution qui puisse faire ______, ______ et ______ ? Cela vous plairait-il ?
Ca a l’apparence d’un scénario d’utilisation, mais ce n’est en réalité qu’une reformulation sous forme de question du bon vieux discours de propagande que je dénonçais plus haut.
En réalité, le paradoxe n’est qu’apparent. Cette situation tend à se produire pratiquement systématiquement dès lors que j’interviens auprès de sociétés où des moyens considérables sont mis en oeuvre pour construire des argumentaires produits chiadés, martelés en permanence auprès de la force de vente. Et comme les commerciaux y sont plutôt jeunes et diplômés, ils ont développé au cours de leur scolarité, qui n’est pas encore trop loin derrière eux, une forte capacité à obéir et à faire caisse de résonance par rapport à ce qu’on leur enseignait. CQFD.
Comme le disait si bien Orwell dans une préface de La Ferme des animaux, le véritable ennemi au déploiement de l’intelligence, “c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone, et cela reste vrai que l’on soit d’accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment”.
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Note : ce billet est aussi publié sur mon blog consacré à l'art de raconter des histoires. C'est ici.
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