Récemment, alors que j'intervenais auprès des étudiants de 3ème année de l'Ecole Centrale de Paris avec mon ami Patrick Condamin, ce dernier les alerta sur la différence fondamentale qui pouvait exister entre vendre d'un côté et avoir raison de l'autre.
A l'appui du raisonnement, il évoqua le film "No" de Pablo Larraín. Dans ce film, que vous pouvez encore voir sur certains écrans, le réalisateur met en scène les dessous du référendum de 1988 au Chili au cours duquel le général Augusto Pinochet demande un vote de confiance au peuple pour se maintenir au pouvoir. C'est la première fois qu'a lieu une consultation populaire depuis le coup d'état de triste mémoire du 11 septembre 1973. Dans l'excitation de se voir proposer une tribune, les forces hostiles au dictateur n'ont qu'un désir : dénoncer de façon véhémente les exactions, crimes et autres manipulations odieuses du caudillo. Pourtant, lorsqu'ils font appel aux services du jeune publicitaire René Saavedra, interprété par Gael García Bernal dans le film, les partisans du « non » s'étonnent de voir ce dernier circonspect. Au lieu d'éreinter le dictateur en montrant ses vilenies, Saavedra recommande d'occulter le passé et de placer la campagne du "non" sous le signe de l'allégresse, seule susceptible selon lui, d'amoindrir le sentiment de peur et d'inciter les gens à se rendre aux urnes pour exprimer leur soif de changement.
Ce fut un coup de génie. En mettant en scène la possibilité de la joie, en dépeignant un monde de rires, de couleurs arc-en-ciel, Saavedra renvoyait par simple effet miroir l'image grise de la peur, de la laideur des uniformes, de la tristesse des militaires au pouvoir. Pourquoi s'échiner à dénoncer les horreurs du passé, là où la représentation d'un futur de liberté suffirait à faire basculer l'opinion ?
C'est en tout cas la grande leçon que j'ai retirée de ce film. Contre toute attente, la meilleure façon de se débarrasser des dictateurs de tout poil n'est pas dans l'énoncé factuelle de leur bestialité ; elle tient plus à la capacité à faire visualiser ce que serait la vie sans eux. C'est en aidant les Chiliens à se projeter dans un état futur désirable que le publicitaire a "vendu" l'idée que la rupture avec la dictature était à portée de la main.
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