" Cher Dave,
Je crois que l'art de la négociation est révolu. Ces deux dernières années, nous avons gagné nos affaires essentiellement sur la qualité de nos fonctionnalités produits. Nous avons aussi perdu des affaires parce que des concurrents avec des offres notoirement inférieures proposaient des prix plus avantageux. Aujourd'hui, nous faisons face à un phénomène plus inquiétant : les prospects ne nous sollicitent même pas pour négocier les prix. Ils choisissent l'offre de nos concurrents quand bien même nous sortons régulièrement en tête de la phase d'évaluation. Ca me rend malade. Je suis écoeuré de constater le peu d'intérêt que les gens associent à l'idée de négocier, alors que nous nous trouvons sur un marché où l'élasticité au prix est forte. Que se passe-t-il ? "
Voilà en substance le message que mon ami Dave Kellogg rapporte sur son blog dans un excellent billet intitulé "What To Do If You're Winning the Product Evaluation But Losing the Deal", soit en bon français "Que faire si vous perdez l'affaire après avoir gagné l'évaluation produit ?"
Dans son style typique de Brooklyn, Dave répond à son lecteur : "Si le client ne négocie pas avec vous, c'est parce qu'il n'est pas intéressé par votre offre, même au rabais, et quand bien même votre produit est sorti en tête de l'évaluation réalisée par l'équipe projet." Plus clair et direct que ça, tu meurs !
Le comportement de ce lecteur - pourtant si caractéristique de la croyance comme quoi dans la vente comme au sport, c'est le meilleur produit qui gagne - révèle une myopie coupable sur la façon dont les organisations structurent leurs démarches d'achat. Pire, cette croyance est une insulte à l'intelligence nécessaire à l'exercice du métier de vendeur.
Tout bon vendeur sait qu'avant de se lancer dans une évaluation produit, il faut avoir compris dans quel contexte cette dernière s'inscrit. Par exemple, si cette évaluation intervient à brûle-pourpoint, sans correspondance aucune avec des besoins ou des enjeux métier, le vendeur averti saura reconnaître un cas typique de mise en concurrence biaisée où les chances de gagner sont des plus minces quel que soit le résultat de l'évaluation technique à proprement parler. Le bon vendeur sait surtout reconnaître où le client se situe dans son cycle d'achat, s'il a la moindre chance honnête de gagner, ou si, au contraire, on fait appel à lui simplement pour "servir de lièvre", d'appât pour faire baisser les prétentions du vendeur déjà présélectionné. Le vendeur aguerri sait que le choix du soumissionnaire se fait *** AVANT *** l'évaluation technique, que l'évaluation n'a pas pour but de déterminer quel est le meilleur produit dans l'absolu, mais simplement de vérifier que le vendeur pressenti sait faire la preuve qu'il peut apporter les facultés désirées et que ces dernières pourront effectivement être déployées au sein de l'organisation. Enfin, le vendeur de qualité sait que l'évaluation technique ne constitue qu'une partie du processus d'évaluation du client, qu'elle doit s'intégrer dans un plan plus global négocié avec les instances de pouvoir au sein de l'organisation cliente.
Le graphique ci-dessus illustre combien l'évaluation technique ne représente qu'une infime partie des choses dont un vendeur digne de ce nom a à se préoccuper quand il gère un cycle de vente pris dans son entièreté.
Au registre des recommandations, Dave Kellogg préconise trois actions :
- Demander à une personne du département marketing d'appeler plusieurs organisations où des affaires ont été perdues récemment afin d'identifier les raisons d''échec ;
- Enseigner aux vendeurs l'art et la manière de taper plus haut au sein des organisations clientes ;
- Une fois au bon niveau, rassurer les décideurs côté client en leur racontant des cas illustrant les succès observés par d'autres organisations ayant choisi votre offre.
J'en rajouterais trois :
- Rappeler aux dirigeants que la vente est avant tout affaire de personnes et qu'au bout du compte c'est celui qui aura été meilleur vendeur qui passera. Après tout, si c'était le meilleur produit qui passait, cela se saurait et cela ferait bien longtemps que les vendeurs auraient disparu.
- Etre le meilleur à l'issue d'une évaluation technique n'a de valeur que si ce résultat renvoie à un travail préalable de développement de la solution conceptuelle avec ceux qui en seront les bénéficiaires. Donc, pas de développement de solution dont vous sortez n°1, pas d'évaluation technique ; disqualification immédiate.
- Enfin, veiller à ce que les vendeurs positionnent, avec le décideur côté client, l'évaluation technique comme une instance bien particulière d'un plan plus général permettant au client de couvrir ses phases d'évaluation et de minimisation des risques de telle sorte qu'il puisse formuler, une fois le plan exécuté, une décision en votre faveur.
Avoir le meilleur produit n'est pas garantie de succès, il n'est qu'à lire l'histoire des pilotes de guerre Saburo Sakai et Richard Bong pour s'en convaincre. Avoir les meilleurs vendeurs, voilà où la différence peut se faire.
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