Quand on parle de design de processus de vente, une des erreurs les plus criantes à mon sens concerne la mauvaise identification des interlocuteurs auxquels les commerciaux doivent s'adresser pour conduire efficacement leurs affaires. Dans la plupart des cas, il faut dire que la question n'est même pas abordée : le processus de vente est décrit comme une séquence d'activités jalonnées sans mention aucune du profil des personnes auprès de qui réaliser les actions en question. Je suis sûr que vous voyez à quoi je fais allusion. Des séquences comme "awareness" / "consideration" / "evaluation" / "closing" en anglais ou "découverte & qualification" / "démo" / "proposition" / "attente de décision" / "négociation" / "conclusion" en français illustrent parfaitement cette absence de caractérisation des interlocuteurs à cibler. Comme si le profil des personnes auprès de qui ces activités étaient réalisées importaient peu... Comme si le fait de faire une démo revêtait la même signification selon que vous vous adressez à un chef de projet ou à un dirigeant bénéficiaire... Voire, comme si le processus était de nature industrielle où l'objectif consiste à transformer de la matière première en produit fini moyennant l'application d'un procédé formel et itémisé...
Mais il y a pire. Dans certains cas de figure, j'ai pu voir des processus de vente où il était explicitement demandé aux commerciaux de s'adresser prioritairement aux personnes responsables de la mise en oeuvre des offres proposées. C'est un peu comme si vous cherchiez à vanter les mérites d'un système d'arrosage sélectif dernier cri au... jardinier, ou encore, pour reprendre le point évoqué dans le titre de ce billet, comme si vous deviez convaincre le cornac de l'intérêt d'organiser une somptueuse parade d'éléphants en feignant d'ignorer qu'une fois la parade terminée, c'est vraisemblablement à ce même cornac qu'il sera demandé de nettoyer les déjections puantes que les pachydermes auront laissées ici et là sur leur passage.
Par le passé, j'ai pu constater combien les "metteurs en oeuvre" ou "maîtres d'oeuvre" pouvaient se montrer d'une créativité débordante pour faire capoter vos efforts de vente, dès lors qu'ils pouvaient voir dans ce que vous vendez le moindre risque de modification de leur train-train habituel. Ils vous embarquent vers des questions très techniques ("pouvez-vous nous décrire l'algorithme qui se cache derrière ?" "comment se passe l'intégration avec ____ ?") après avoir pris bien soin de minimiser, voire de discréditer les bénéfices métier de votre offre. Et une fois que vous aurez cru avoir apporté les réponses attendues aux questions posées, ils prendront un malin plaisir à vous interdire toute forme d'accès à d'autres interlocuteurs au sein de l'organisation, surtout ceux qui pourraient être sensibles aux fameux bénéfices d'usage. Ils se cabreront alors derrière le haut niveau d'expertise requis pour "comprendre la solution" pour légitimer l'organisation de bancs d'essai aussi inutiles que coûteux en temps et en ressources. En un mot comme en cent et sauf à rencontrer des individus éclairés soucieux d'agir comme porteurs d'innovation au sein de leur organisation, vous aurez la désagréable surprise de vous rendre compte - souvent trop tard - qu'ils sont vos pires détracteurs.
A ce stade de la lecture du billet, vous devez sans doute vous dire : "mais enfin, il faut tout de même bien leur parler à ces gens-là, non ?" Et la réponse est : "oui". Mais certainement pas *** AVANT *** d'avoir validé les facultés apportées par vos soins auprès des personnes qui - de par leur fonction et les objectifs métier y afférents - tireront le plus grand bénéfice de vos efforts. Car là, forts de cette validation préalable auprès des bénéficiaires métier, vous pourrez sereinement rencontrer les cornacs pour aborder avec eux les modalités pratiques de mise en oeuvre des facultés désirées.
Vous le voyez bien. La question n'est pas tant de savoir si vous devez voir ou non le cornac pour organiser la parade, que de vous assurer préalablement du "buy in", soit en bon français, de l'adhésion des bénéficiaires.
Quant à celles ou ceux d'entre vous qui penseraient que ce billet est insupportable et que l'utilisation de la merde d'éléphant comme élément métaphorique est au mieux grotesque et pour le moins malvenue, je ne saurais trop leur rappeler qu'on peut faire des choses sublimes avec des excréments d'éléphants, témoin ces escarpins vertigineux de Chris Ofili que de belles excentriques s'arrachent à prix d'or !
Scatologie et eschatologie partageraient-ils plus de connivences qu'une simple euphonie ?
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