Récemment, j’eus l’occasion d’animer une table ronde pour le compte de SynerTrade, un éditeur de logiciels proposant des solutions spécialisées pour les professionnels des achats. Autour de moi, trois experts de la fonction dont deux directeurs des achats négociant pour le compte de leurs entreprises respectives – des leaders du CAC40 – des milliards d’euros d’approvisionnements.
Le thème principal de la table ronde portait sur l’évolution de la fonction dans les prochaines années. Les intervenants mirent en évidence plusieurs axes forts de transformation que je résumerais comme suit :
- Les acheteurs doivent sortir de leur pré carré d’experts de la négociation et se rendre plus visible en amont et en aval de la chaîne de valeur ;
- En amont, il leur appartient d’identifier des fournisseurs dont le savoir-faire, une fois intégré dans l’offre de l’entreprise, est susceptible d’apporter un avantage concurrentiel ;
- Toujours en amont, ils sont appelés à intervenir de façon plus systématique auprès des équipes commerciales pour comprendre l’évolution des besoins clients et aider les équipes commerciales à concevoir des offres tirant parti des savoir-faire référencés au sein de l’écosystème de fournisseurs ;
- En aval, les acheteurs devront veiller à ce que la qualité de service effective apportée par les fournisseurs retenus soit en ligne avec les engagements contractuels ;
- S’ils doivent élargir leur éventail d’intervention sur l’ensemble de la chaîne de valeur, les acheteurs doivent aussi ‘‘vendre la valeur’’ de ce qu’ils font auprès des instances dirigeantes de l’organisation et veiller notamment à ce que les gains exprimés sous forme de réduction de prix en pied de facture soient lisibles de façon plus agrégée dans les états financiers de l’organisation. C’est ce qu’un intervenant à la table ronde a appelé la capacité à effectuer du « management upwards » ;
- De la même façon, il appartiendra aux responsables de la fonction de piloter la performance de leurs équipes à l’aide d’indicateurs reflétant la transformation souhaitée. Aller au-delà de la mesure des économies réalisées pour suivre, par exemple, le nombre de contrats de co-développement négociés et, ce faisant, apprécier la contribution de la fonction à la politique d’innovation de l’organisation. Nous sommes là dans le domaine du « management downwards ».
En écoutant les intervenants de la table ronde énoncer ces évolutions de la fonction achats, il m’est soudain apparu que l’acheteur idéal des temps à venir devrait savoir prospecter, aider au développement de solutions innovantes, qualifier les fournisseurs au regard de la valeur générée, vendre au plus niveau la valeur ajoutée générée par la fonction, contrôler dans le temps la bonne exécution des contrats, sans oublier bien sûr ce qui fait la signature même de la fonction : l’aptitude à négocier.
L’éventail de ces compétences m’était étrangement familier et je ne pus m’empêcher de m’exclamer : « Finalement, il semble à vous entendre que l’acheteur de demain aura tous les traits du vendeur ? ». Ce à quoi, une intervenante à la table ronde eut la présence d’esprit d’ajouter : « Oui, précisément. Mais avec en plus, la capacité à intégrer la stratégie de l’entreprise et à veiller au bon respect des règles et procédures en vigueur ».
Et Thierry de Cassan, présent à la table ronde ès qualités, de prendre la balle au bond et d’affirmer : « A ce compte-là, ce n’est pas à un super-vendeur que ressemblera l’acheteur de demain, mais à un demi dieu ! »
Et bien et la suite ? Qu'avez vous fait ? Avez vous demandé :" Et les vendeurs des fournisseurs, à quoi servent-ils alors? - Et qui s'occupe de l'audit des problématiques internes à solutionner ? - Et aussi ... - Où trouvez vous vos vendeurs ?! ..." Alors, alors, la suite ... :-)
Amina
Rédigé par : Amina | 05/03/2014 à 03:49
Chère Amina,
Merci pour votre commentaire.
En ma qualité d'animateur de la table ronde, j'étais contraint par un format, une durée et un déroulé. Pourtant, il est vrai, ces questions que vous posez me brûlaient la langue.
Car nous assistons dans le domaine de la relation client-fournisseur à un étrange chassé-croisé. D'un côté, comme on l'entend de la bouche des professionnels des "achats", on assiste à une transformation de la fonction vers un rôle toujours plus orienté vers la "vente". L'onde de choc de cette transformation est forte. Elle vient frapper de plein fouet le commercial dans l'étendue de ses prérogatives.
Et alors que le commercial jouait un rôle déterminant dans ce que vous appelez "audit des problématiques à solutionner" - ce que j'appelle "développement de solution" dans mon jargon - on peut désormais légitimement se poser la question de savoir si ce rôle va lui rester dévolu. D'autant que, selon des études récentes, il semblerait que les clients ne fassent appel que de plus en plus tard aux commerciaux lorsqu'ils s'engagent dans un parcours d'achat.
Donc, oui, le métier de commercial subit une transformation majeure en ce moment. Et s'il fallait en dresser les contours majeurs, je dirais que :
1. la vente "transactionnelle" nécessite de moins en moins l'intercession de vendeurs. Les systèmes font ça très bien, sans friction ;
2. la vente "consultative" est assiégée. Par les acheteurs au sein des organisations, qui rentrent de plus en plus tôt dans les consultations. Par les bénéficiaires côté client, qui débroussaillent leur démarche en remplaçant les interactions avec le vendeur par Google et la mise en relation avec des tiers étant "déjà passés par là".
Tout cela tend à alimenter la thèse selon laquelle la profession de vendeur est condamnée à disparaître.
Et pourtant, toutes les statistiques d'emploi - notamment aux USA - montrent qu'il s'agit d'une des rares professions à croître en effectifs. Surtout depuis qu'internet s'est immiscé dans nos vies...
Donc, oui, il y a transformation. Une transformation dont il est difficile aujourd'hui de comprendre tous les tenants & aboutissants. Par conséquent et pour reprendre vos termes, oui, "la suite, est à écrire".
Vous sentez-vous d'attaque de le faire ?
Bien à vous.
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Amina | 05/03/2014 à 07:28
Bon bon bon...
Intéressant ce post, Jean Marc, surtout pour moi qui, dans le cadre de mon projet de recherche sur l'aéro, ai interrogé quelques directeurs d'achat de grands groupes...
iI me semble que dans l'aéro ils sont depuis longtemps sortis du pré carré d'experts de la négociation et s'insèrent dans les points énoncés.
A mon sens, ils sont la clé de voûte de l'équilibre de la filière ce qui leur confère un rôle stratégique et un pouvoir majeur.
Le point 2 est crucial car il conditionne les stratégies relationnelles qui seront mises en place.
Si tu connais Goffman et les cadres de l'interaction... il y a des jeux à l'intérieur des jeux. Toutes les règles ne sont pas connues de tous (sourire), éthique, charte d'achat... (sourire) pô pô pô
Rédigé par : N | 25/11/2014 à 09:18