Je viens tout juste de terminer de donner un cours de management commercial à HEC. Afin d'agrémenter la discussion avec les étudiants, je leur ai proposé une série d'extraits de films et de séries télévisées mettant en scène des situations de vente. Il m'était ainsi difficile de passer à côté de Don Draper (alias Jon Hamm), prince de la vente de publicité dans les années 60 et héros adulé de la série Mad Men.
Je leur ai présenté l'extrait ci-dessus où Don Draper fait son "pitch" (présentation) pour un maquillage. Devant l'incrédulité du client, surpris de découvrir que la palette de couleurs proposées se limitait à... une seule, notre héros fait une tirade brillante pour expliquer son parti pris. Quand une femme a jeté son dévolu sur un homme, explique Draper, elle le marque du sceau indélébile de son élection. Elle veut que le monde entier sache que c'est son homme, qu'il lui appartient en propre. Symboliquement, pour afficher son choix, la trace de son rouge à lèvres doit être reconnaissable entre toutes, elle doit être unique, d'où le choix du publicitaire de ne montrer qu'une couleur.
La première réaction des étudiants relève de l'admiration. Quel homme ! Quel courage ! Quelle détermination dans l'exposé ! Toutes ces qualités où fleure bon l'éruption de testostérone sont régulièrement reprises par les experts de la vente qui voudraient faire de cette scène l'illustration emblématique de ce qu'il convient de faire. Pas plus tard que ce matin, l'excellent Bob Apollo - encore un nom qui sonne viril - vient de publier sur son (remarquable) blog, un billet qui n'est que louange pour le comportement de Don Draper.
Pourtant, je dois bien reconnaître que je suis beaucoup plus dubitatif sur le jugement à apporter à cette scène. Car à mon sens et au risque d'en choquer plus d'un, je trouve Don Draper on ne peut plus amateur. Et ce pour une raison simple : au lieu d'amener son client à embrasser sa vision des choses, Don Draper joue le passage en force. Il "pitche" (ou plutôt fait pitcher ses collègues de l'agence), là où le bon vendeur aurait tendance à faire reconnaître au préalable à son client l'intérêt qu'il pourrait avoir à limiter la palette à une seule couleur pour faire passer l'idée d'exclusivité, d'unicité. Don Draper se comporte exactement comme le vendeur traditionnel qui va en clientèle présenter son offre avec force son slide-deck PowerPoint ou Keynote en poche. Son pitch a beau être brillant, il n'en demeure pas moins un pitch, c'est-à-dire un exposé unidirectionnel où la voix du client peine à se faire entendre.
A l'heure où tout le monde s'accorde à reconnaître que l'art de la vente s'apparente de plus en plus à la capacité de co-créer la solution avec le client, la démonstration de Don Draper rappelle les comportements de vente héroïque typiques des trente glorieuses. Rappelez-vous, c'était le temps des démarcheurs d'encyclopédies, des VRPs, du porte-à-porte, des attachés-cases, du pied dans la porte, des dents blanches et du sourire ultra brite. C'était aussi l'époque... des mass media, de la toute puissance de la télévision et du spot de 30 secondes pour subjuguer la ménagère de 50 ans. Une époque dont la série Mad Men rend compte admirablement, mais une époque bien révolue en dépit de toute la nostalgie qu'elle nous suggère.
Alors aller chercher dans l'iconothèque des années 60 des clés pour décrire les comportements à adopter aujourd'hui me semble pour le moins douteux. En faisant de Don Draper un exemple à suivre de la façon dont il convient de vendre aujourd'hui, j'ai peur qu'on oublie combien l'attitude du publicitaire relève de l'arrogance la plus insupportable là où l'évolution des rapports clients-vendeurs exigerait aujourd'hui la recherche dialoguée - et humble - d'une solution construite à l'intersection de l'expertise du vendeur et des exigences du client.
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