Il fut un temps où il était de bon ton de mettre un calculateur de ROI sur son site web. J’en vois de moins en moins et je crois que je ne serai pleinement satisfait que le jour où ils auront complètement disparu de la circulation.
Je vois déjà certains s’élever et pousser des cris d’orfraie : « Comment ? Mais il s’agit d’un outil génia-aaaa-l. Les clients s’en servent pour justifier leur investissement, etc. »
Non, le concept n’est pas génial ; il est dangereux et infantilisant. Quant à sa mise en application usuelle sur les sites web, elle conjugue le plus souvent cécité et prétention. En faisant figurer cet outil sur le site web – et en général en très bonne place tant ses promoteurs sont fiers de leur œuvre – l’entreprise se tire autant de balles dans le pied qu’il n’y a d’orteils : cinq pour être précis.
- Première balle : mettre un calculateur de ROI sur votre site web, c’est afficher la croyance que tous les clients font les mêmes choses pour les mêmes raisons.
- Deuxième balle : mettre un calculateur de ROI sur votre site web, c’est donner à vos clients un outil pour acheter… l’offre de vos concurrents.
- Troisième balle : amener vos commerciaux à utiliser votre calculateur de ROI, c’est les inciter à dire de grosses âneries en clientèle.
- Quatrième balle : en ramenant la question de la valeur à un simple calculateur de ROI, vous amoindrissez la qualité de l’expérience d’achat client en castrant vos vendeurs.
- Cinquième balle : du point de vue du client, le calcul de ROI, ce n’est pas un événement, c’est un processus.
Commençons par le début. Lorsque vous mettez en ligne un calculateur de ROI, vous adressez implicitement à vos clients le message selon lequel il n’y a qu’une façon de tirer profit des facultés que vous offrez. Or se peut-il que telle organisation achète vos produits simplement pour gagner en productivité et diminuer les coûts là où telle autre entend améliorer un processus créateur de chiffre d’affaires ? N’avez-vous jamais observé combien certains clients pouvaient monter sur leurs grands chevaux à l’écoute des propos d’un vendeur évoquant de manière pateline la réduction de la charge de travail induite par l’utilisation des produits en jeu ? Dans un article publié sur le site de Sales Benchmark Index consacré à la question, son auteur Drew Zarges raconte une petite anecdote savoureuse à ce sujet. Une commerciale présente à son prospect les résultats liés à l’utilisation du calculateur de ROI appliquée à son contexte. Enthousiaste, elle s’écrie : « D’après les chiffres, vous pouvez économiser 25% sur les coûts en personnel ». Son interlocuteur lui répond du tac au tac : « Magnifique ! Il ne vous reste plus qu’à m’indiquer quelles sont les 5 personnes que je dois virer dans mon équipe de 20 personnes et l’affaire est dans le sac ». Vos clients ne sont pas tous les mêmes. Leurs contextes d’utilisation de vos produits et services non plus. Par suite, leur démarche de justification de valeur ne s’articulera pas autour des mêmes variables. Un point, une barre.
La deuxième balle du barillet renvoie elle à l’idée que votre calculateur de ROI a toutes les chances d’être générique. En d’autres termes, cela revient à dire qu’il sera utilisé par les clients et prospects pour justifier leur décision d’investir, mais pas celle de vous choisir. Pour éclairer le propos, je voudrais vous raconter une autre histoire qui m’a frappé. J’intervenais alors auprès d’un grand éditeur d’ERP. Mes interlocuteurs de plus haut niveau se vantaient d’avoir mis en place une équipe de consultants spécialisés dans le calcul de la valeur que l’entreprise pourrait retirer à l’utilisation de leurs logiciels. Pourtant, lorsque je demandais aux commerciaux de me parler de l’utilisation qu’ils faisaient de cette équipe d’experts de la justification de valeur, je fus surpris d’entendre de la bouche de nombre d’entre eux qu’ils évitaient de faire appel à eux. Je cherchai alors à savoir pourquoi. La réponse quasi-unanime fut que les consultants en question étaient redoutables dans leur connaissance de la méthodologie de calcul de la valeur et étaient des virtuoses de la feuille de calcul Excel. Mais comme les résultats qu’ils présentaient illustraient le bien fondé de l’investissement dans un ERP sans mettre en exergue les scénarios d’utilisation différenciateurs de l’éditeur, ils donnaient aux prospects une justification idéale pour acheter… auprès du fournisseur concurrent le moins disant.
La troisième balle est plus grave encore, puisqu’elle peut mettre l’entreprise au tapis en deux temps trois mouvements. En mettant entre les mains de vos commerciaux un calculateur de ROI, vous vous exposez à les faire dire des phrases comme : « Nous allons vous faire gagner ___ euros » ou « Grâce à nous, vous allez vendre plus à raison de _______ euros par an ». Sans même s’en rendre compte, vos commerciaux risquent de faire ce qu’il y a de plus grave dans l’acte de vente : énoncer des promesses non tenables. A supposer que je sois dans les chaussures du client, en entendant pareilles âneries, je me ferais un malin plaisir à affirmer à mon interlocuteur commercial : « Très bien ! Je choisis de travailler avec vous. Et puisque vous allez me faire gagner XXX euros, je souhaite voir cela figurer de façon explicite dans le contrat, avec une clause de paiement de notre part actionnable dès que nous avons gagné ces XXX euros et qu’il est clairement établi que cela s’est fait grâce à vous ». Il vous sera alors donné de voir votre interlocuteur perdre subitement sa superbe et se noyer en circonlocutions pour vous expliquer qu’en fait, ce n’est pas tout à fait comme ça qu’il faut faire, que certes, il va vous faire gagner cet argent, mais qu’il ne saurait s’engager, etc. Une répartie bien pathétique ma foi, née simplement du fait que comme le calculateur de ROI a été conçu par l’entreprise qui emploie le commercial, ce dernier aura tendance à mélanger le calcul du ROI d’un côté et la responsabilité dans son atteinte, placée elle entièrement sur les épaules de la société cliente.
Déjà trois balles dans le pied à ce stade :
- Non, les clients ne sont pas tous réductibles à une feuille de calcul de ROI,
- En restant trop générique dans l’approche de détermination du calcul de ROI, les efforts de modélisation de mathématique financière ne servent qu’à aider les clients à acheter chez les concurrents
- Dotés d’outil de calcul de ROI, les commerciaux peuvent être amenés à se sentir invulnérables ; ce faisant, ils courent le risque de prendre une responsabilité d’atteinte dudit ROI qui ne leur incombe surtout pas.
Il est temps ici de laisser se refroidir le barillet. Je vous propose d’évoquer les deux dernières balles dans un papier à paraître dans les prochaines semaines.
A bientôt, donc.
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PS - Il existe une version en anglais de cet article, publié sur la plate-forme LinkedIn sous le titre "Why You Should Get Rid of Your ROI Calculator". C'est ici.
Jean-Marc,
si je comprends bien, vous critiquez la mecanisation du calcul de ROI, mais pas le concept de retour sur investissement lui-meme, qui a la base de toute decision d'investissement.
Il nous arrive d'utiliser le calcul de ROI dans un cas particulier, malheureusement assez frequent: lorsque le client n'a pas de budget.
Cela permet de passer d'une logique de prix de marche, a une logique de valeur. Lorsque le client est guide dans une auto-evaluation des gains a faire, et des pertes ou risques a ne pas faire, cela lui permet de mettre realiser qu'il lui faut un budget. Nous croisons trop de clients qui n'ont pas de budget et veulent se faire une idees de marche sans point de repere. Ils recoivent des offres incomparables, en valeur livree, mais dont on peut comparer les couts.
Notre probleme est peut-etre lie aux metiers de service...
Rédigé par : Stephane Monsallier | 03/06/2014 à 15:46
Bonsoir Stéphane,
Sympa de vous retrouver sur cette tribune. Cela faisait longtemps...
Votre commentaire est absolument correct.
Pour rien au monde, je ne voudrais remettre en cause le bien fondé de l'approche consistant à aider les clients à documenter les bénéfices qu'ils pourraient retirer des biens & services que je leur vends. Bien au contraire ! Qui plus est, l'idée de justifier une décision d'investissement avec un calcul de ROI à la clef me semble on ne peut plus sain. A fortiori si l'organisation cliente n'a pas alloué de budget a priori à l'initiative.
En somme et pour parodier Bourvil et son fameux sketch sur l'eau ferrugineuse, je dirai donc : "le ROI, oui ; sa systématisation sous la forme d'un calculateur mis entre les mains du client & des commerciaux, non".
Et croyez-moi, je vous écris cela en toute sobriété ;-)
Bien à vous.
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Stéphane Monsallier | 03/06/2014 à 20:51