La 20ème édition de la Coupe du monde de football vient tout juste de fermer ses portes ; c’est l’heure des bilans. Une équipe brésilienne à reconstruire, une Mannschaft dominatrice, des scores fleuves comme on en a avait pas vus depuis longtemps (demandez aux malheureux Brésiliens !) et un record du nombre de buts inscrits sur une Coupe du monde avec 171 réalisations (à égalité avec l’édition de 1998 qui nous est si chère au cœur).
Mais aux côtés de l’Allemagne, il y a un autre grand vainqueur de la compétition. Vous l’aurez sûrement remarquée, c’est la petite bombe aérosol dont se sont servis les arbitres lors du tir de coups francs. De mon côté, c’est mon ami Jérémie qui m’a mis la puce à l’oreille, alors que nous n’en étions encore qu’aux matchs de poule.
Cette petite bombe est déjà utilisée en Amérique du Sud mais c’était la première fois qu’elle faisait son apparition sur une phase finale de la Coupe du monde. C’est donc bien une innovation de la présente édition aux côtés du dispositif vidéo pour vérifier s’il y a but ou non (ne pleurez pas Mr Lampard !)
Ce qui m’a le plus frappé, c’est le nombre d’articles et de témoignages réalisés autour de ladite bombe aérosol. Pas tant pour expliquer comment elle marche et ce qui fait que la mousse blanche se dissout à peine quelques minutes après utilisation. Mais surtout pour connaître l’avis des arbitres et des joueurs sur les bénéfices liés à son usage. Et là j’ai noté qu’il y a une fière unanimité pour en vanter les mérites :
- Les arbitres avancent tous à l’unisson que ça les dispense de devoir faire la police en demandant constamment au mur de défenseurs de reculer.
- Les attaquants, eux, sont ravis. Avec l’assurance que le mur est bien à la distance règlementaire du ballon (9m15), ils peuvent mieux faire appel à leurs repères pour ajuster leur frappe.
- Plus étonnant, même les défenseurs sont satisfaits. Ils reconnaissent ne pas avoir à se crêper le chignon avec les arbitres et éviter ainsi de se choper bêtement un carton jaune pour avoir faire preuve de trop de véhémence dans le propos.
Je ne sais pas vous, mais moi, quand je vois des gens d’intérêt on ne peut plus divergent – on est en compétition, non ? – faire montre d’un même avis, je me méfie. C’est sans doute un effet de mon côté parano et il paraît que les vendeurs sont des rois dans le domaine.
Typiquement, la question que je me pose alors est " Cui bono " ou encore, pour ceux qui ne sont familiers ni avec la langue latine, ni avec les aphorismes cicéroniens, « mais à qui tout cela profite-t-il ? »
La réponse m'est venue en lisant l'un des nombreux articles consacrés à la question. Le titre - World Cup 2014: Vanishing spray 'could see more free-kick goals' (Coupe du monde 2014 : la bombe auto-effaçable pourrait entraîner un plus grand nombre de buts sur coups francs) - dit l'essentiel, à savoir que l'intérêt de cet aérosol, c'est que son utilisation concourt à l'augmentation du nombre de buts.
Et là tout s'éclaire. Car si il y a promesse de plus de buts, alors les détenteurs du contenu (la FIFA dans le cas présent) peuvent légitimement négocier avec de plus fortes exigences en prétextant un intérêt plus soutenu de la part des téléspectateurs.
Et si il y a plus de buts, alors les chaînes de télévision qui se sont portées acquéreuses des droits de diffusion en live peuvent prétendre à une plus grande audience et donc demander plus aux annonceurs désireux de faire passer des spots publicitaires lors de la mi-temps des matchs.
Et là, autant qu’on se le dise, on parle de millions voire de dizaines, que dis-je centaines de millions d’euros…
Quand j’anime des formations commerciales en m’appuyant sur la méthodologie CustomerCentric Selling®, j’ai parfois du mal à expliquer à mon auditoire l'enchaînement logique qui va des fonctionnalités techniques (la mousse auto-dissolvante en moins d’une minute) à l’usage (quand l’arbitre siffle un coup franc, il trace avec sa bombe aérosol le cercle d’où l’attaquant tirera et une ligne derrière laquelle les défenseurs se mettront pour faire le mur). Puis de l’usage aux avantages (chacun est bien à sa place : il n’y a plus de contestation possible) et enfin aux bénéfices (comme la distance règlementaire entre le tireur et le mur est respectée, la chance de marquer un but est plus grande, ce qui accroît l’intérêt du jeu, donc l’audience, donc la valeur du contenu et le montant à négocier auprès des annonceurs).
Mais surtout, là où je souffre le martyre, c’est pour faire comprendre qu’au regard de cet enchaînement logique, l’ultime bénéficiaire de la bombe auprès de qui il est légitime de s’entretenir n’est pas l’arbitre ni les joueurs, mais bien le responsable commercial en charge de la vente des contenus aux chaînes ou le responsable de la régie publicitaire au sein de ces chaînes. Car au bout du compte, ce sont bien ces individus-là qui tireront les millions induits par l’utilisation de la bombe magique sur le terrain. C'est donc auprès d'eux et avec leur input qu'il convient de chercher à construire la justification économique à l'investissement.
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