Robert De Niro est un monstre sacré du cinéma, c'est entendu. Mais quand il s'agit de vendre - et plus particulièrement des voitures - c'est une autre affaire.
D'abord, il n'a pas l'air de tenir la vente de voitures en grande estime. Quand - comme dans le clip ci-dessus - il se fait gentiment remonter les bretelles parce qu'il ne manifeste pas assez d'enthousiasme en faisant son annonce, il se cabre et balance un "I'm not selling cars, OK ?" ("je ne suis pas un vendeur de bagnoles, OK ?") qui en dit long sur son dédain pour la profession.
Et on le comprend ! Parce que quand il joue le vendeur de voitures de luxe auprès d'une clientèle policée et friquée, cela tourne au désastre. Voyez vous-même !
Dans cette séquence d'anthologie tirée du film "Analyze That" (Mafia Blues : la rechute) de Harold Ramis, Robert De Niro enchaîne boulette sur boulette :
1. Il fait des plaisanteries d'un goût douteux : évoquer la possibilité de ranger 3 cadavres dans le coffre pour en illustrer le caractère spacieux fera sûrement rire un aficionado des Tontons flingueurs habitué aux répliques culte de Bernard Blier éparpillées aux quatre coins du films façon puzzle, mais probablement pas un couple de DINKs newyorkais. Et ce n'est pas son "Just kidding. Just trying to levitate the situation" ("C'était juste une plaisanterie. Je voulais juste donner un peu de légèreté à la situation") qui va rattraper le coup.
2. Il attaque la concurrence sans ménagement. En réponse à la question de savoir quelle voiture il conduit aujourd'hui, le jeune homme répond une Lexus 430. A ce moment, De Niro ne trouve rien de mieux à faire qu'à assimiler Lexus et Toyota en insinuant avec mépris que quoi qu'on veuille, au bout du compte, on a toujours affaire à une marque japonaise. Aux USA, un pays où la voiture représente un marqueur social de première importance, ce n'est pas très malin de la part du vendeur de dénigrer la voiture actuelle de son prospect.
3. Il est désajusté (désynchronisé) par rapport à ses interlocuteurs. Quand, à brûle-pourpoint, De Niro demande dans un anglais relâché des faubourgs sil le couple souhaite acheter le modèle ("Let's be serious. You wanna buy this car or what?"), la jeune femme lui répond qu'ils vont y réfléchir. Et là, De Niro prend la mouche : "Comment ça, vous allez y réfléchir ? Vous m'avez posé 10.000 questions. J'ai répondu à chacune d'elles. Vous l'avez conduite. Vous l'avez aimée. Que voulez-vous savoir en plus ?" Et l'homme de venir à la rescousse de sa compagne avec l'une de ces phrases toutes faites qui ont le don d'irriter le plus imperturbable des vendeurs : "Disons que c'est beaucoup d'argent et nous avons juste besoin de temps pour y penser." Il n'en fallait pas plus pour que notre bon Robert perde les pédales au point d'insulter ses interlocuteurs en leur montrant combien ils les lui avaient brisées menues avec leurs questions. Comme chacun sait, l'insulte n'est pas le chemin le plus court pour concrétiser une vente...
Pourtant, sur le fond, De Niro a de bonnes raisons d'en avoir gros sur la patate. Car il est victime d'une situation que les économistes et autres adeptes de la théorie des jeux connaissent bien au point de lui avoir donné un nom : l'asymétrie dans l'échange d'informations. Lorsque, après la tirade insultante de De Niro, la jeune femme s'indigne sur l'air de "on ne parle pas comme cela à des clients", il lui rétorque très justement "mais vous n'êtes pas des clients, pour ce qui me concerne". Le couple s'est comporté comme s'ils étaient des clients, élusifs quant à leurs intentions et Robert De Niro, naïf, s'est laissé embarquer dans ce simulacre de relation, avec la coyance erronée que sa capacité à répondre à toute demande d'information suffirait à engager ses interlocuteurs dans un geste d'achat.
L'abus de position dominante de la part du jeune couple (nous sommes le client, nous avons droit à tous les égards, car ne dit-on pas que le client est roi ?) rencontre la candeur de De Niro vendeur. Au bout de l'interaction, il y a déséquilibre résultant d'une asymétrie dans la détention d'informations. Le couple sait tout ce qu'il a à savoir sur le véhicule. Le vendeur, lui, ne sait même pas si le couple a l'intention de l'acheter. Du déséquilibre nait la frustration, qui elle-même se transformera en pétage de plombs pour De Niro.
Et quand, alors que la situation commence à s'échauffer, l'homme du couple annonce qu'il veut voir le manager, De Niro part en sucette pour un numéro qui m'a fait pleurer de rire.
A vos mouchoirs !
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