Quand j'ai commencé dans la vente, j'ai eu la chance de rencontrer des commerciaux qui respiraient la vente par tous les pores de leur peau. Ils avaient coutume de s'en jeter une petite une fois la journée terminée et n'étaient jamais avares d'une tournée de binouze lorsqu'ils ramenaient un contrat sympa à la maison.
Et comme de bien entendu, après quelques verres, les langues se déliaient et chacun y allait de sa petite histoire. Je me souviens encore d'un des ces histoires un rien vulgaires mais qui disaient bien la quintessence de la vente.
Tout commence dans un supermarché américain dans les années 60. C'est le lundi matin. Le patron du magasin annonce à ses équipes l'arrivée d'un ténor de la vente, que dis-je, une superstar. Le genre de gaillard qui explose son quota avec l'assiduité d'un métronome. La tension est palpable dans l'audience. Mais qui est donc ce héros des temps modernes, cet as de la vente, ce prodige de l'art de persuader ? Au moment où l'excitation est à son comble, le directeur annonce à l'équipe à son grand complet que le commercial en question est parmi eux et qu'il se fait une joie de le présenter... Et maintenant, sans plus attendre, with no further ado, let me introduce you... j'ai le plaisir de vous présenter... Bill Smith !
Les yeux sont rivés sur la scène. Bill Smith monte les trois marches qui le mènent à l'estrade. C'est un petit bonhomme tout chétif, habillé de la façon la plus banale qui soit, gris, tout gris de pied en cap. Déception, bien sûr.
Pourtant, deux jours plus tard, en fin de soirée, alors que les équipes commerciales se réunissent pour faire le point sur le chiffre de la journée, John Smith se distingue avec à son actif une vente exceptionnelle de 149.950 dollars comprenant une voiture tout terrain, un bateau, une caravane, une remorque et un attirail de pêche complet. Du jamais vu au magasin ! Comment avait-il réussi à fourguer tout ce barda, à un seul client qui plus est ?
Bien sûr les questions fusent.
- Mais comment as-tu réussi à vendre cette caravane ? La dernière que nous avons vendue, c'était il y a un an à un papy qui partait pour le Montana...
- Oh, ce n'est pas très compliqué, vous savez.
- Et le 4x4 en prime, le tout sans le moindre rabais...
- Arrêtez, vous allez me faire rougir...
- Quelle chance tu as eue de trouver un client prêt à s'acheter tout ça. Dis-nous, comment as-tu fait ?
- Oh c'est simple. Au début, il a commencé par acheter un hameçon, puis je l'ai accompagné pour lui montrer une canne à pêche adaptée à sa main. Il en a choisi une et pour qu'il ne s'ennuie pas avec toujours la même canne, je lui ai conseillé des lancés, des filets, des mouches. Dans le cas où il pleuvrait, je l'ai aidé à se choisir des vêtements de pêche. Je ne suis pas pour que nos clients soient malades, vous comprenez. Après, c'est pas facile de trimballer tout cela, alors je lui ai montré le rayon des remorques, et je l'ai aidé à choisir entre une remorque simple et une remorque à bateau, parce qu'il pouvait vouloir aller à la pêche en bateau aussi. Alors il est ensuite venu choisir un bateau. Et il a fallu ensuite qu'il réfléchisse à savoir si sa voiture pourrait tirer tout cela sans difficulté. Le mieux et pour des questions de confort et de sécurité, c'était qu'il conduise une voiture de sa classe. Alors il a acheté le 4x4 qui était en vitrine.
- Quelle chance de tomber sur un client venant au magasin pour s'acheter tout ça !
- Oh non ! Il n'avait aucunement l'intention de s'acheter tout ça. Rappelez-vous, comme je suis nouveau dans l'équipe, vous m'avez mis au rayon "femme". C'est là que j'ai rencontré mon chaland. Il s'est adressé à moi parce qu'il cherchait où étaient les boîtes de Tampax.
- Ah bon ?
- Ben oui. Je lui ai demandé si c'était pour sa femme. Il a acquiescé avec une mine de chien battu. Alors je lui ai dit : "Week-end foutu pour foutu, ne verriez-vous pas d'un bon oeil l'idée d'aller à la pêche ?"
Cette histoire est un grand classique et fait partie du florilège de vannes que les vendeurs aiment à partager quand ils évoquent leur profession. Et j'en vois parmi vous qui se pincent les lèvres car, c'est vrai, elle n'est pas d'un raffinement exquis. Pourtant, cette histoire dit beaucoup de choses sur ce qui distingue les meilleurs vendeurs des autres.
Le bon vendeur, ce n'est pas celui qui présente bien, qui connaît par le menu l'offre ou qui sait en parler de façon experte. Non. Le bon vendeur c'est celui qui s'intéresse suffisamment à son client pour chercher à comprendre ce qui l'amène, se met dans ses souliers, fait ressortir l'état émotionnel qui en résulte, puis - fort de cette confiance nouvellement fondée sur un mélange d'empathie et de compassion - est en mesure de suggérer des idées pour surmonter les désagréments liés à la situation présente.
Voilà pour le bon vendeur. Quant au meilleur vendeur, c'est celui qui, à l'image de la merveilleuse citation tirée des Pensées de Blaise Pascal, saura se faire oublier juste après avoir partagé ses suggestions afin de laisser son client mener à son terme le travail d'auto-conviction qu'il aura habilement initialisé.
Et maintenant, comme nous approchons des fêtes de fin d'année, j'ai le plaisir de vous offrir un cadeau venu tout droit de cet anti-héros de la vente qu'est notre Jean Dujardin national. A n'en pas douter, en pareilles circonstances, il n'aurait certainement pas manqué de souligner : "habile, Bill".
A goûter sans modération !
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