Alors que je lisais Travels with Charley de John Steinbeck, un superbe livre où l’auteur nous livre ses impressions sur les Etats-Unis au détour d’un road trip le conduisant aux quatre coins du pays, je suis tombé sur une petite négociation savoureuse.
Cela fait plusieurs jours déjà que Steinbeck roule dans le nord-est des Etats-Unis, aux commandes d’un bus retapé appelé ironiquement Rossinante. Mais ce jour est un grand jour. Après des centaines de miles de solitude à peine tempérée par la présence chaleureuse du chien Charley, Steinbeck est tout à la joie de savoir que son épouse le rejoint ce soir à Chicago où il a réservé un hôtel en plein centre ville. Mais comme l’écrivain déteste se trouver piégé dans le trafic caractérisant les abords des grandes villes américaines, il décide de se rendre le plus tôt possible au centre et de voir s’il peut prendre possession de sa chambre dès son arrivée afin de goûter au plaisir presqu’oublié d’un bon bain et d’un somme dans des draps tout propres.
A la réception, l’employé reste inflexible : Steinbeck ne pourra occuper sa chambre qu’à partir de midi. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, l’écrivain prend son mal en patience et demande l’autorisation d’attendre dans le hall de l’hôtel. Pouvant difficilement s’opposer à cette requête, l’employé accepte et Steinbeck s’installe confortablement dans un des fauteuils bien rembourrés de l’établissement – de rapport, est-il besoin de le préciser.
C’est à ce moment que les choses se compliquent. Comme Steinbeck n’a pas pris de douche depuis plusieurs jours et qu’il ne s’est pas changé non plus, sa présence dans le hall vient à heurter la sensibilité visuelle et olfactive de certains clients. Le personnel de la réception s’en émeut et commence à montrer des signes d’agacement. Le responsable du guichet d’accueil avise un assistant et les voilà tous les deux qui devisent, l’air sérieux, en lançant de temps en temps des regards brefs sur Steinbeck.
Quelques secondes plus tard, le responsable s’avance vers l’écrivain et lui fait part du fait qu’un client de la nuit précédente venait tout juste de quitter l’hôtel pour prendre un vol très matinal. Le responsable proposa la chambre ainsi libérée à Steinbeck, mais en l’état – c’est-à-dire non nettoyée – en attendant que la sienne fût disponible.
Comme l’écrit Steinbeck dans sa relation des faits, « le problème venait d’être résolu avec intelligence et patience ». En effet, chaque partie avait obtenu ce qu’elle voulait, puisque l’écrivain pouvait prendre un bain chaud et piquer un roupillon tandis que l’hôtel s’épargnait la disgrâce de subir la présence d’un individu peu ragoûtant et malodorant dans le hall. En outre – et c’est sans doute là le point le plus remarquable de cette négociation – la concession offerte par l’hôtel n’occasionnait pas le moindre coût additionnel puisque la chambre proposée à Steinbeck avait été dûment réglée par le client levé aux aurores.
Aucun coût marginal pour les parties en présence, mais une valeur inestimable pour chacune d’elle : voilà le secret révélé de l’art de faire des concessions intelligentes durant une négociation.
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