Durant les années 90, nombreux furent ceux qui vantèrent les mérites d’un meilleur alignement entre les fonctions ventes et marketing. Depuis lors, peu de progrès fut réalisé. Casser la logique des silos s’avéra plus difficile que prévu, mais bon an mal an, le désalignement entre ventes et marketing perdura.
L’objectif initial visant à rapprocher – voire à intégrer – les fonctions vente et marketing resta au rang des vœux pieux. Je me souviens même que dans le domaine des industries de technologie, de guerre lasse, les gens ont abandonné la partie. Certains sont même allés jusqu’à effectuer des coupes sombres, réduisant la responsabilité des départements marketing à la simple organisation d’événements. Le sujet fut enterré dans l’indifférence la plus absolue.
Mais les problèmes importants ont l’art de refaire surface au moment où on s’y attend le moins. Avec la diffusion du média internet, les clients ont profité de l’aubaine pour s’en servir comme d’un vecteur privilégié d’obtention d’informations, reléguant par la même les commerciaux dans un rôle de plus en plus limité. Des études récentes mettent en évidence le fait que, désormais, les clients réalisent 57% de leur parcours d’achat avant que n’ait lieu leur première interaction avec un commercial. Dès lors, les approches traditionnelles déployées par les commerciaux pour vendre sont vues avec irritation par des clients devenus autonomes dans leur recherche d’informations.
Face à cette volte-face du marché, la réponse fut avant tout organisationnelle. De nombreuses sociétés de technologie retirèrent la responsabilité de gestion des couches amont du pipeline aux commerciaux pour la transférer au marketing.
Résultat : la frontière traditionnelle entre un marketing générant des pistes (leads) et des commerciaux gérant des opportunités s’est déplacée en aval. Ce faisant, les commerciaux se retrouvent dépossédés d’un domaine d’intervention pourtant réputé être celui sur lequel ils pouvaient avoir le plus fort impact : le développement de solution. Et comme il n’appartient pas aux gens de marketing d'être des experts en la matière, ce choix organisationnel tend à renforcer la propension des clients à gagner en autonomie dans leur quête d’information et à marginaliser le rôle des commerciaux dans leur capacité à accompagner les clients dans la conduite de leur parcours d’achat.
Plus que jamais, les organisations doivent réduire la fracture entre vente et marketing si elles veulent regagner l’attention de leurs clients. Car les enjeux posés aujourd’hui sont encore plus pressants. Pour n’en citer que quelques uns :
- Contrairement aux promesses des vendeurs d’outils d’automatisation de la fonction marketing, les visiteurs réalisant les meilleurs scores du fait de leur activité sur votre site – téléchargement de contenus, visites répétées, etc. – sont la plupart du temps des interlocuteurs de bas niveau, dans l’incapacité de financer des initiatives non budgétées ;
- Un visiteur a par définition une vision individuelle de ce que pourrait être une solution par rapport à ses enjeux. Or bâtir une solution à l’échelle de l’entreprise vue comme un tout est une tout autre paire de manches requérant des savoir-faire que seuls des commerciaux aguerris peuvent posséder. Et cela est d’autant plus crucial que le nombre moyen de personnes engagées dans des prises de décision d’achat a considérablement augmenté récemment (5,4) ;
- Les tactiques d’entretien de la relation avec des prospects, souvent regroupées sous le terme de nurturing vont rarement au-delà de l’évangélisation autour des offres produits, ce qui n’aide guère les clients à acheter ;
- Comme indiqué plus haut, la plupart des pistes (leads) transmis aux commerciaux renvoient à des interlocuteurs de bas niveau : ceux qui ont du temps de libre pour se balader sur votre site et avec qui vos commerciaux ne devraient pas perdre de temps ;
- Malgré les efforts conséquents déployés par les offreurs de technologies d’automatisation de la fonction marketing, les taux de conversion des leads générés demeurent toujours aussi désespérément bas ;
- L’attention portée au développement des sollicitations entrantes (inbound) s’est faite au détriment du développement d’un savoir-faire consistant à susciter l’intérêt des interlocuteurs de plus haut niveau à travers des campagnes sortantes (outbound) de qualité ;
- Si les équipes marketing se voient servies par une conjoncture favorable pour regagner une légitimité que la pratique d’un narcissisme incantatoire leur avait ôtée, il n’en va pas de même des vendeurs, laissés de plus en plus à l’abandon face aux défis lancés par la prise de maturité et d’autonomie des prospects dans la conduite de leurs parcours d’achat. Car désormais…
- Les clients en ont assez de se faire “évangéliser” par des vendeurs
- De mieux en mieux informés, les prospects diffèrent le plus possible l’implication des commerciaux
- Les techniques de vente traditionnelles irritent de plus en plus les prospects
- Plus que jamais, les prospects attendent de la part des commerciaux qu’ils les aident à entrevoir les impacts métier. A contrario, ils se lassent de les voir s’évertuer à évoquer en long et en large le détail de leurs offres, déjà abondamment documenté sur le web
- Plus que jamais, les prospects attendent de la part des commerciaux qu’ils les accompagnent dans la durée ; ils en ont marre du commercial ABC (Always Be Closing) popularisé par Alec Baldwin dans Glengarry Glen Ross dans une scène désormais devenue mythique.
Il est essentiel d’éviter la confusion entre conduite d’activité et réalisation de progrès. Au risque d’énoncer une évidence, le but ultime d’une organisation est de générer plus de revenus, pas de générer plus de leads. Par suite, les organisations doivent réfléchir – par delà les effets de mode et les comportements panurgiens – à coordonner leurs efforts de vente et de marketing dans deux directions différentes :
- En partant du sommet et en allant vers la base : identifier les fonctions auxquelles elles entendent s’adresser de façon volontariste (les adeptes du franglais diraient « proactivement ») et développer un message pour aider ces dernières dans la représentation conceptuelle d’une solution ;
- En partant de la base et en allant vers le sommet : s’appuyer sur les sollicitations entrantes pour ancrer une solution dans l’esprit des personnes et négocier à travers elles un accès aux fonctions identifiées plus haut.
L’harmonisation des pratiques de vente et de marketing est difficile mais indispensable. Les organisations qui s’attelleront à cette tâche avec un souci de cohérence auront toutes les chances de prendre un avantage durable sur leurs concurrents en fournissant à leurs clients une expérience d’achat mieux calibrée et surtout plus gratifiante.
--
Pour écrire cet article, je me suis largement inspiré d’un billet publié par John Holland, co-fondateur de CustomerCentric Selling®
Commentaires