Lorsque j’anime des ateliers de formation commerciale, l’un des points sur lesquels la plupart des participants butent allègrement, c’est la difficulté à transcender le discours technique pour ne se focaliser que sur les usages.
Et le grand paradoxe de tout ça, c’est qu’à cet exercice, ceux qui s’en sortent le mieux, ce sont… les techniciens.
Ainsi, il y a quelques semaines, je me trouvais en présence de Centraliens auxquels s’était joint un petit contingent de docteurs en biologie. Le groupe était extrêmement motivé. Quant à moi, je crois que c’était la première fois que j’enseignais à des thésards. Et pour couronner le tout, des chercheurs en biologie, une discipline qui me fascine autant qu’elle m’intimide, tant je me sens tout petit devant l’ampleur des avancées qui y sont réalisées.
En parlant de « tout petit », justement, figurez-vous que l’un des docteurs en biologie présents avait pour projet de création d’entreprise, la commercialisation de microscopes de très haute résolution appelés « nanoscopes ».
Quand je lui demandai de me dire ce qu’était un nanoscope, il me parla de procédés optiques permettant d’observer des objets à l’échelle nanométrique. Ces procédés, auxquels je confesse ne pas comprendre grand chose, visaient à dépasser les limites induites par la diffraction de la lumière, une utilisation des informations contenues dans les ondes évanescentes, voire l’invention de stratagèmes destinés à augmenter artificiellement la résolution en reconstruisant une image à partir d'informations disparates.
Alors, comme je restais de marbre devant tant de propos savants, je demandai à mon interlocuteur de me décrire une application de cette technologie en précisant que je voulais – de préférence – qu’il m’aide à visualiser des choses impossibles à réaliser avec un microscope. Il me fallait du « différenciant », que diantre, de l’USP, le désormais fameux « unique selling point » des anglo-saxons.
Et là quelle ne fut ma surprise, quand j’entendis mon interlocuteur me dire :
- C’est très simple.
Une fois passée ma stupeur, je l’invitai à développer.
- Imaginez que vous soyez un spécialiste dans le domaine de la recherche sur le cancer. Vous avez observé que les macrophages…
- Les quoi ?
- … les macrophages, ce sont des grosses cellules arrondies observables au microscope, qui phagocytent les débris cellulaires et les pathogènes. Ils contribuent donc à notre système immunitaire en mangeant – d’où leur nom – les cellules mortes ou malades, notamment les cellules cancéreuses…
- OK, je vois, des sortes d’éboueurs qui nous débarrassent de nos cellules mortes, c’est ça ?
- Oui… Et puis, si vous voulez en savoir plus sur les macrophages, vous n’avez qu’à cliquer le lien, ici… Puis-je reprendre mon histoire, maintenant ?
- Je vous en prie.
- Je reprends donc le contexte… Vous êtes chercheur sur le cancer et vous souhaitez observer l’influence de telle ou telle protéine sur le comportement des macrophages lorsque le sujet est atteint d’une variété de cancer bien déterminée…
- J’imagine assez bien la scène, en effet.
- Maintenant que vous avez le contexte bien en place, je souhaiterais vous poser une question.
- Allez-y.
- Alors voilà. Seriez-vous en mesure d’accélérer le rythme de vos recherches et surtout d’augmenter l’acuité de vos analyses si vous pouviez, en complément de l’observation au microscope du déplacement des macrophages dans les tissus malades, zoomer au niveau des pattes de ces cellules, étudier leur vitesse de déplacement, et les confronter à celle de propagation des cellules cancéreuses ?
- …
- Je ne vous entends plus.
- Oui, je reste sans voix… A l’image de Blaise Pascal perdu face aux deux infinis…
- Soit, mais mon propos n’a rien de métaphysique. Je vous posais juste une question pour savoir si vous trouviez de l’intérêt au scénario proposé…
- Oh que oui ! Bien sûr que je verrais d’un bon œil la possibilité d’affiner l’analyse en me déplaçant du comportement générique du macrophage jusqu’à l’observation de ses « pattes » et de sa vitesse de déplacement.
- Parfait ! Eh bien sachez que ni les pattes d’un macrophage ni les protéines ne sont observables avec un microscope traditionnel. Leur observation requiert l’utilisation d’appareils permettant d’aller en deça de la limite de diffraction identifiée par Abbe, les fameux microscopes de super-résolution, aussi appelés nanoscopes. Et c’est exactement ce type de dispositifs que je commercialise.
Quel scénario !
A travers cet échange, mon docteur en biologie venait de réaliser quelque chose de prodigieux. Oui, bien sûr, j’étais désormais capable – et ce n’est pas le moindre effet – de visualiser une utilisation possible de sa technologie révolutionnaire. Mais en plus, il m’avait ouvert l’esprit. En l’écoutant, je m’étais pris à rêver que le jour n’était peut-être pas si loin où un chercheur annoncerait avoir découvert une protéine permettant de soigner le cancer, en dopant les macrophages. Il venait de me donner une véritable bouffée d’optimisme par rapport aux avancées de la science et notamment dans la lutte contre ce fléau dévastateur. Il m’avait rendu fier. Fier de l’idée que lui et moi, frêles créatures à l’échelle du cosmos, partagions cette appartenance commune à une « humanité » cherchant obstinément à repousser les limites du connu.
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PS : Depuis l'écriture de ce papier, beaucoup d'eau s'est écoulée sous les ponts. La personne à laquelle je fais référence dans le billet travaille au sein de la société AbbeLight qui commercialise les fameux nanoscopes. Cette personne n'est ni plus ni moins que le fondateur et président d'AbbeLight : Jean-Baptiste Marie.
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