Dans des environnements de vente complexe, le rôle du vendeur ne se limite pas à prospecter, qualifier et conclure ; il embrasse une panoplie de compétences bien plus large incluant le développement de solution, l'identification et l'accès aux interlocuteurs clés, la co-constrution de la proposition de valeur, l'aide à la création d'un consensus autour des modalités d'évaluation, etc.
Pourtant, vous observerez comme moi que les étapes par défaut dans la plupart des CRM du marché continuent de faire référence à une séquence linéaire d'activités comme "découverte", "démo", "proposition", donnant bien peu d'informations sur l'état d'avancement du client dans son parcours d'achat, sur sa manière de prendre sa décision d'achat, ou sur vos chances objectives de remporter l'affaire.
Comment s'étonner, dans pareilles conditions, que les portefeuilles d'affaires en cours soient si gonflés, que les prévisions de vente soient aussi optimistes qu'inexactes et que la comédie des "engagements sur le trimestre" se soldent par un sempiternel "tu dois t'engager sur plus" avant l'échéance, prolongé par un "pourquoi n'as-tu pas atteint ton engagement", une fois le trimestre terminé. Je me suis amplement étendu sur ce sujet ici ou là.
Si vous voulez une fois pour toutes rompre avec cette parodie de management commercial à la grand-papa, je ne saurais trop vous inviter à traiter le mal à sa racine, à savoir dans la définition des étapes de votre processus de vente.
Prenons par exemple l'étape "démo". C'est un grand classique dans les processus de vente, notamment chez les éditeurs de logiciels. Quand je rencontre des clients disposant d'un processus de vente orienté "activités" à l'image de celui décrit dans le graphique d'ouverture de ce billet, je ne manque pas de poser la question sur le taux de conversion "démo à commande". En général, la réponse oscille entre 10% et 30%. Je leur demande s'ils sont satisfaits. La réponse est systématiquement négative. Je demande alors ce qu'ils envisagent se faire pour résoudre ce problème. A ceux qui me répondent "rendre nos commerciaux meilleurs dans la pratique de la démo", je leur souhaite bonne chance et je m'en vais.
A ceux qui soupçonnent l'existence d'un problème autre que la seule aptitude des commerciaux à faire des démos qui en mettent plein les mirettes, je pose la question de savoir à quoi sert une démo. La réponse qui fuse, c'est "pour montrer notre produit, pardi". Restant dans le questionnement, je demande : "En quoi le fait de montrer le produit vous aide-t-il à vendre ?" Et là, mes interlocuteurs sont le plus souvent remplis de perplexité et ils me retournent la question : "Mais comment vendre sans montrer le produit ?"
Je leur propose alors un exercice très simple : se mettre dans la peau du client. Par ce seul changement de perspective, la question n'est plus de savoir en quoi la démo sert à vendre mais en quoi elle aide le client à acheter. Mes interlocuteurs sont plus à l'aise pour répondre à cette nouvelle formulation de la question : "Si je suis client, une démo, ça me rassure. Ca me permet de vérifier que le fournisseur est en capacité de m'apporter la solution que je désire". Je demande de préciser :
- C'est donc une sorte de preuve pour le client ?
- Oui
- Une preuve de la solution que je client envisage de mettre en oeuvre chez lui ?
- Oui
- Et à quel moment dans votre processus de vente "découverte", "démo", "proposition", "commande", la solution est-elle développée, discutée, valorisée ?
- ...
- Et avec qui ?
- ...
A ce moment, mes interlocuteurs comprennent que leur processus de vente est vérolé. En mettant l'accent sur la réalisation de démonstrations, ils se rendent compte qu'ils amènent les commerciaux à devenir de super "show men" ou "show women", des bateleurs de foire. Car en omettant de spécifier une étape préalable de développement de solution dans le déroulé du processus de vente, ils vident la démo de sa raison d'être. Alors qu'elle devrait servir de preuve pour le client comme quoi vous êtes en mesure de lui apporter les produits et services auxquels il aspire, vous en faites un élément de rituel dénué de signification.
Comment vous étonner après de la faiblesse des taux de conversion ? Car si vous commettez l'erreur - voire l'offense - d'oublier le client dans la définition de votre processus de vente, ce dernier saura vous rappeler son existence de la plus triviale des façons : en achetant avec les pieds.
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Dans la série des erreurs de design de processus de vente :
- Erreur de design de processus de vente n°1 : la proposition
- Erreur de design de processus de vente n°2 : assimiler efficacité commerciale et niveau d'activité
- Erreur de design de processus de vente n°3 : confondre processus et automatisation
- Erreur de design de processus de vente n°4 : ne s'intéresser qu'aux prospects en phase de recherche active de solution
- Erreur de design de processus de vente n°5 : disposer d'étapes déséquilibrées
- Erreur de design de processus de vente n°6 : demander au cornac d'organiser la parade des éléphants
- Erreur de design de processus de vente n°7 : mesurer à tort et à travers
- Erreur de design de processus de vente n°8 : vouloir évangéliser le marché
- Erreur de design de processus de vente n°10 : négliger l'adoption
- Erreur de design de processus de vente n°11 : mal nommer les étapes
- Erreur de design de processus de vente n°12 : faire de la signature l'étape ultime du processus
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