Je vais vous faire une confidence : je déteste acheter. Alors, quand mon imprimante a rendu l'âme il y a quelques jours, je succombai à un état de dépression proche de la catatonie. Mais je ne savais pas ce qui me stressait le plus : la perte de mes facultés d'impression, ce qui pour un indépendant comme moi est synonyme de galères sans nom, ou bien la perspective peu reluisante à mes yeux de devoir me porter acquéreur d'un nouvel appareil.
Je profitai d'un rendez-vous en clientèle qui s'était bien déroulé. Bourré d'énergie positive, je décidai d'affronter l'épreuve. Oh ! Je vous vois me dire que j'exagère, que j'en fais trop. Pourtant, je vous assure que j'aborde le rituel de l'achat avec les préventions d'une chatte qui vient de mettre bas. J'y vois au mieux une perte de temps complète et, au pire, une expérience humaine frustrante et débilitante. En fait, dès que je dois faire un achat un tant soit peu significatif, je redoute, pêle-mêle, le sourire du vendeur, ses explications à n'en plus finir sur les avantages comparés des différents produits, ses avancées madrées pour me fourguer le produit sur lequel il touche le plus de commissions, la longueur interminable de la hâblerie, les interruptions incessantes pour aller vérifier un prix, une indisponibilité, que sais-je encore.
Voilà dans quel état d'esprit je franchissais les portes d'un grand distributeur de matériel bureautique près de la place de la République, à Paris.
Décidé de rester le moins de temps possible, je demandai à la première personne venue qui pourrait m'aider pour faire l'acquisition d'une imprimante. On me présenta Fatima. Après de brèves salutations d'usage, elle m'invita à la suivre au rayon imprimantes. Premier point de satisfaction : contrairement à ce qui se passait la plupart du temps, elle n'avait pas arboré un sourire mièvre et s'était abstenue de me poser de façon obséquieuse des questions sur ma santé. Un simple "bonjour" avait fait l'affaire et je n'en demandais pas plus. J'en ai plus qu'assez des familiarités qui sonnent faux ! J'étais là pour effectuer une transaction d'achat. Un point, une barre.
En faisant chemin vers le rayon imprimantes, Fatima me dit : "Je vais vous présenter nos différents modèles". Je l'interrompis assez brutalement : "Avant tout, laissez-moi vous dire ce que je veux, quelle est l'utilisation que j'envisage. Cela vous permettra de savoir très vite quoi me proposer".
Arrivés au rayon, Fatima me gratifia d'une récapitulation fidèle des besoins que je venais de lui exposer, m'indiqua du revers de la main tous les articles à éliminer, puis attira mon attention sur les 2-3 modèles qui correspondaient à mes attentes. Après quelques questions supplémentaires - sur la mise en oeuvre, les besoins en consommables, la complexité de l'installation, la connectivité - je portai mon choix sur un modèle bien particulier. Je vis alors Fatima saisir son smartphone, flasher le code-barre figurant sur l'étiquette et m'indiquer sur le champ que le modèle choisi était en stock et que je pouvais partir avec si je le désirais.
Surpris par la simplicité de la chose, je luis dis : "Oui, faisons cela". Dix minutes plus tard, le temps de payer, de retirer l'imprimante, puis de montrer patte blanche devant le Cerbère noir posté à l'entrée du magasin, j'étais de nouveau à l'air libre.
Bilan des courses :
- L'achat avait duré une quinzaine de minutes tout compris ;
- J'étais certain de disposer d'un modèle correspondant à mes besoins (et après installation, je vous confirme que c'est le cas) ;
- Une fois n'est pas coutume, j'avais apprécié la conduite de l'entretien de vente.
De par mon métier, je ne peux m'empêcher de faire l'autopsie des achats que j'effectue. En sa qualité de vendeuse, Fatima avait été au top. En quelques secondes, elle avait compris à qui elle avait affaire, elle s'était ajustée à mon style, avait su reconnaître mon souci d'efficacité et de sobriété dans la transaction. Elle avait aussi su repérer mon appréhension quasi maladive par rapport à tout ce qui peut avoir trait à l'installation. Elle s'était montrée alors très rassurante. Puis, une fois que tout avait été dit, elle avait su conclure avec autorité mais sans pression.
Un autre point me frappait en faisant le post mortem de la transaction : la technologie avait ajouté à la qualité de l'interaction humaine. Trop souvent, la technologie est vécue comme un cheveu sur la soupe, un tue-l'amour de la relation commerciale, un facteur d'interruptions à répétition sur l'air de "Donnez-moi 3 minutes pour vérifier si l'article est en stock". Ici, au contraire, il avait suffi d'un simple flashage de l'étiquette à Fatima pour m'assurer de la disponibilité de l'imprimante. Ce geste, aussi simple que rassurant, avait emporté ma décision.
Je venais de vivre une belle illustration de l'apport de la technologie quand elle est mise au service de l'intelligence relationnelle du vendeur.
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PS : Obsédé par le thème de la valeur, j'ai fait un petit calcul sur l'apport de la technologie que je venais de voir. J'ai vu deux niveaux d'impact, que ce soit en termes d'efficacité opérationnelle, ou d'amélioration de l'expérience consommateur.
Sur le premier thème, le calcul de la valeur est simple puisque le gain s'exprime en temps gagné par transaction. Très sommairement, je l'ai estimé à 3 minutes. Maintenant, en considérant qu'une transaction moyenne dure une vingtaine de minutes, cela représente un gain d'efficacité de 15%.
Mais c'est certainement le deuxième - celui de l'amélioration de l'expérience consommateur - qui est le plus important. Au moment où Fatima a flashé l'étiquette pour vérifier la disponibilité de l'imprimante en stock, j'avais tout ce qu'il me fallait pour prendre une décision d'achat. Or, c'est en général le moment de plus grande fragilité dans le parcours d'achat, puisqu'on se retrouve confronté à soi-même, à la sincérité de sa démarche. C'est l'instant de fébrilité, voire de peur, avant de faire le pas. Si Fatima n'avait pas fait ce geste devant moi, elle aurait dû aller consulter un poste de travail fixe. Cela aurait pris du temps et ce temps, justement, je l'aurais utilisé vraisemblablement à passer en revue toutes les raisons possibles pour ne pas acheter hic et nunc. On aurait même pu imaginer que, submergé par les doutes, je fausse compagnie à la vendeuse. Vous pensez que je fabule, que je galéje ? Référez-vous au taux d'abandon de caddie dans le commerce en ligne : plus de 70%. Et quand cet abandon se produit-il le plus souvent ? Au moment de conclure l'acte d'achat. Alors, je me suis essayé au calcul suivant. Imaginons que le taux de conversion de Fatima ait été de 60% avant l'utilisation de la faculté de flashage d'étiquette dont je vous ai parlé, qu'elle fasse autour de 20 transactions par jour et que son panier moyen soit de 150 euros. Imaginons aussi que l'utilisation de la faculté de flashage d'étiquette lui permette de passer de 60% à 80% de taux de conversion. Cela voudrait dire qu'elle conclurait 4 transactions supplémentaires par jour, soit un incrément de chiffre d'affaires de 33%, toutes choses égales par ailleurs. Exprimé en monnaie sonnante et trébuchante, cela fait un chiffre d'affaires supplémentaire de 600 euros par jour pour Fatima. Imaginons maintenant qu'il y ait 10 vendeurs dans le magasins et une centaine de magasins en France. Nous voici rendus à un incrément de chiffre de 600K euros par jour. Pas mal, non ?
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