Lorsque j’anime des ateliers de formation d’efficacité commerciale, j’insiste sur la nécessité d’adopter une posture consultative pour aider les clients dans leur démarche d’achat. Parfois, certains participants s’offusquent, s’irritent : « Au bout du compte, notre métier c’est juste prendre des rendez-vous, faire une déballe, enfin, décrire notre offre, balancer un prix et closer ».
Quand j’entends ce type de commentaire, il m’arrive de réagir en avançant que si la vente se résumait à faire des présentations, des démonstrations ou des propositions, des robots feraient parfaitement l’affaire et les commerciaux que nous connaissons aujourd'hui n’auraient plus qu’à pointer au Pôle Emploi.
Mon propos a le mérite de déclencher une secousse. Pourtant, il faut bien se faire une raison : les robots (en tant qu’artefacts des algorithmes qui les pilotent) jouent un rôle de plus en plus important dans la vente. Au point où la question n’est plus de savoir s’ils vont s’inviter aux démarches de vente (c’est acquis !), mais plutôt de déterminer à quel moment du cycle de vente (ou du tunnel de conversion) les faire intervenir.
Pour le savoir, il suffit de considérer un tunnel de conversion typique avec les étapes suivantes :
- Etape n°1 – Le particulier manifeste de l’intérêt par rapport à la marque (par exemple après avoir cliqué sur un contenu sponsorisé ou avoir téléchargé un document sur le site de la marque)
- Etape n°2 – Le particulier s’inscrit à la communauté des abonnés à la lettre d’information de la marque
- Etape n°3 – Le particulier achète son premier produit (par exemple après avoir consulté le catalogue de produits proposés aux membres de la communauté
- Etape n°4 – Le particulier vit l’expérience associée à l’utilisation du produit acheté
Jusqu’à présent, la recherche de performance s’est concentrée sur la recherche d’optimisation des taux de conversion d’une étape à l’autre - ce qu'on pourrait appeler une démarche d'optimisation locale. C’est dans le cadre de cette vision du monde que les logiciels d’automatisation des actions marketing ont connu un succès remarquable sur la place : les actions des particuliers sont tracées, scorées en fonction de ce qu’elles disent du niveau d’engagement de la personne. Une liste des « leads » les plus chauds est générée tous les matins et soumise à la sagacité d’un groupe de « Business Development Representatives » résidant à Dublin ou Barcelone, qui placent des appels ou envoient des courriels en série à leur attention. A la clef, l’idée d’inciter les « leads chauds » à passer à l’étape 2, à savoir s’inscrire à la communauté.
Le processus est long, déconnecté, asynchrone, imprécis, empirique, en un mot, inefficace du point de vue du fournisseur et peu gratifiant du point de vue du client potentiel.
C’est là que les robots (alias des agents conversationnels ou chatbots) peuvent rendre un fier service. Le scénario d’utilisation est le suivant :
Au moment où le particulier clique sur un lien sponsorisé, le robot conversationnel apparaît à l’écran de l’internaute, se présente, s’enquiert des raisons ayant amené l’intéressé à cliquer et, selon la réponse, lui propose la démarche la plus pertinente : mise en relation avec un agent, redirection vers des contenus appropriés, etc.
Les bénéfices apparaissent clairement : suppression du temps de latence dans l’interaction, contextualisation immédiate, enchantement de la relation. Pourtant, et c’est là qu’est le paradoxe, il se peut fort bien que le taux de conversion à l’étape 2 n’évolue pas forcément vers le mieux. Ce qui peut amener des esprits obtus à remettre en cause l’intérêt du dispositif.
Pourtant, allons un cran plus loin.
Supposons que, dans le cadre de l’interaction entre l’internaute et le robot conversationnel, la personne révèle le souhait d’acheter un produit (exemple : un voyage sous les tropiques), sans pour autant se montrer précise sur sa nature exacte (hémisphère sud ? nord ? palmiers & cocotiers ? plage et farniente ? découverte de civilisations perdues ? hôtel de luxe ? crapahutage ?). Comme le robot a détecté l’existence de ce désir flou, il propose à l’internaute une série de paires de photos en lui demandant d’énoncer sa préférence par un clic sur le bouton « j’aime » associé à la photo qui lui plaît le plus. Après une série d’itérations, le robot sait organiser le jeu de préférences exprimées sous la forme d’une matrice d’appétences de type « chaud » / « froid ». A ce stade, il pose à l’internaute la question de savoir s’il serait intéressé de voir s’afficher à l’écran des produits correspondant à ses préférences relatives. Dans l’hypothèse d’une réponse positive de l’intéressé, le robot active « en sous-main » un algorithme de mise en corrélation (« matching ») des préférences exprimées avec les produits du catalogue et déclenche la restitution à l’écran des trois produits présentant le meilleur coefficient de correspondance. L’internaute « met au panier » le produit qui lui plaît le plus et se voit proposer par le robot une mise en relation avec un interlocuteur physique de la marque – un agent commercial – pour finaliser la commande.
Ce scénario est tout sauf utopique. La jeune société IDETA créé justement des robots conversationnels spécialisés dans les interactions de vente, des salesbots.
Lors d’un entretien que j’ai eu récemment avec Laurent Guy, un des fondateurs d’IDETA, il me confia : "On a fait un test éclairant avec un de nos clients. Il venait d’acheter de la publicité sur du reciblage de personnes venant de s’inscrire dans la communauté des abonnés à la lettre d’information. Sur les personnes touchées, le salesbot a été activé dans 10% des cas et des ventes furent conclues directement, générant un bénéfice 10 fois supérieur à l’investissement consenti. Vous parlez d’un ROI ! "
A travers cette utilisation astucieuse du salesbot sur un point clair de friction du tunnel de conversion, le client a découvert la possibilité de raccourcir le temps de cycle commercial par élimination de certaines étapes. C’est donc à une véritable révolution du processus de vente que les robots conversationnels peuvent contribuer. Car désormais, l'optimisation n'est pas locale : elle ne porte pas sur l'amélioration du taux de conversion entre une étape donnée et la suivante. Avec le concours des robots conversationnels, l'optimisation est globale ; elle porte sur le tunnel de conversion pris dans son entièreté. Et ce tant pour le bien des clients (expérience d’achat plus limpide) que pour celui des commerciaux (moins de tâtonnements et d’actions inutiles).
A bon entendeur…
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PS : Il existe une version en anglais de ce billet. C'est ici.
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