Depuis que je rencontre des dirigeants d'entreprise pour parler d'efficacité commerciale, je les mets régulièrement en garde devant le risque à vouloir résumer la vente à une belle présentation ("Et en Keynote, s'il vous plaît, c'est tellement mieux que Powerpoint", comme je viens de l'entendre récemment) ou à une démonstration à "effet waouh" garanti.
Mon argument auprès de ces dirigeants est simple. En ramenant la vente à une série d'activités du commercial (un appel pour décrocher un rendez-vous, une présentation, une démo, une proposition, un bon de commande), vous courez trois risques majeurs, leur dis-je :
- Vous restez prisonniers de votre nombril (Où est la voix du client quand vos commerciaux déploient toute leur énergie à faire des présentations et des démos ? Quels moments ménagez-vous pour écouter ce que vos clients ont à vous dire ?) ;
- Vous déresponsabilisez les clients (Pour acheter, le client doit faire des choses de son côté. Avec votre rythme de stakhanoviste de l'effort commercial, vous ne lui laissez pas le temps de souffler pour sensibiliser en interne, bâtir un consensus entre les parties prenantes, arbitrer entre plusieurs projets d'investissement, etc.)
- Vous faites de vos vendeurs des singes savants sans valeur ajoutée (Après tout, comme j'ai pu l'écrire dans un autre papier, si la vente se résumait à faire des présentations, des démos ou des propositions, je ne vois vraiment pas pourquoi on aurait encore besoin de vendeurs. Les robots feraient très bien l'affaire. Sans compter qu'ils présentent le double avantage d'être plus productifs et moins sujets à des sautes d'humeurs, des montées d'hormones ou des crises existentielles, etc.)
Et puis, zut, zut et zut ! D'où vient cette croyance absurde selon laquelle les clients seraient gogos au point d'acheter votre produit sur la seule base d'une démo, aussi flamboyante fût-elle. Pour tout vous dire, la seule fois où il m'est arrivé d'acheter un produit après une démonstration, c'était une journée d'hiver devant les vitrines des Galeries Lafayette du boulevard Haussmann à Paris. Un camelot présentait un couteau magique multi-usages. La démo était si brillante que j'ai acheté l'ustensile. A peine rentré à la maison, je devais regretter amèrement mon achat, incapable que j'étais de couper une carotte avec.
Caveat emptor... Car à ce jeu-là, comme au bonneteau avec ses trois cartes ou dans sa variante avec des noix de muscade admirablement dépeinte par Jérôme Bosch dans le tableau L'Escamoteur (ci-dessous), le client doit faire preuve de vigilance. Et certes, il pourra lui arriver d'être la dupe d'un camelot adroit, mais certainement pas plus d'une fois...
Par ailleurs, il se trouve que je viens de découvrir tout récemment une preuve du caractère inopérant des démonstrations. C'est une preuve statistique tirée de l'analyse de plusieurs centaines de milliers de conversations de vente. Elle émane de la société Gong, spécialisée dans l'analyse des conversations de vente, qui vient de publier récemment un article indiquant les mots ou expressions ayant l'impact négatif le plus fort sur la vente. Au premier rang de ces mots et expressions qui plomblent une vente, il y a le "laissez-moi vous montrer comment..." A contrario, le mot qui a l'impact positif le plus fort dans la conversation de vente est "Imaginez".
Côté perdant, on a le vendeur qui exhibe, le montreur d'ours. Et c'est logique. Car pour peu qu'il n'ait pas pris soin, au préalable, d'aider le client à se forger une représentation bien à lui d'une solution embarquant votre offre, ce vendeur est vu comme pressant. En exhibant son offre sans autre forme de procès, il impose sa prise de parole. Pire, il empêche la conversation.
De l'autre côté, il y a le vendeur qui gagne. Le vendeur-gagnant n'a rien à voir avec le fameux vendeur winner de Jean-Claude Covenant. Le vendeur-gagnant, c'est celui qui a des conversations avec ses clients, celui qui nourrit des échanges, qui manifeste un intérêt sincère pour le monde du client, qui se pose comme une ressource pour amener son client à imaginer les scénarios d'utilisation les plus pertinents dans un travail à deux de recherche de solution.
Le vendeur qui montre aliène le processus créatif ; celui qui propose d'imaginer met l'étincelle au processus créatif. Le premier nie l'intelligence du client, quand le second la sollicite.
Car dans le monde de la vente, ce n'est pas le produit qui compte, c'est l'imaginaire que le client est capable de bâtir autour de votre produit. Pour illustrer le propos, il y a ce commentaire que j'adore de la bouche de Mercedes Erra. Mercedes est une femme aux talents multiples. Entre autres distinctions, elle est la fondatrice de BETC, l'agence qui a permis à une petite ville thermale de Savoie de devenir synonyme de leader mondial des eaux minérales. Et c'est Mercedes en personne qui a créé en 1999 la saga des bébés Evian, suivie dix ans plus tard, de la campagne "Live Young". Pour expliquer le succès planétaire de cette campagne, je laisse la parole à Mercedes Erra :
"La raison pour laquelle cette série a si bien fonctionné et si durablement marqué les esprits est simple : une fois de plus nous avons parlé aux consommateurs d'un sujet qui les concerne. Notre approche n'a pas consisté à partir immédiatement de la marque "Evian", ou même de la catégorie "Eaux". Si on ne parle que de soi, on n'intéresse pas les gens. Il faut leur parler d'eux-mêmes et donc relier la marque à quelque chose qui soit plus fondamental qu'elle."
Et ce "quelque chose de plus fondamental", qu'est-ce que c'était ? Tout simplement le fait que nous vivons plus longtemps. Lors des 20 dernières années, nous avons gagné 20 ans d'espérance de vie ! Résultat : les idées de "rester jeune" ou de "devenir vieux" ont pris un sérieux coup de... jeune. Construire autour de l'eau un imaginaire sur le thème de la jeunesse éternelle, tel devenait le nouveau leitmotiv de la communication Evian... Avec, au devant de la scène le vieux mythe de la fontaine de jouvence, un des trois récits fondateurs de la ruée européenne sur le continent américain, aux côtés de la Nouvelle Jérusalem (régénération spirituelle) et de l'Eldorado (enrichissement matériel).
Et Mercedes d'ajouter :
"Il faut bien avoir en tête que le produit au départ, ce n'est que de l'eau, dont il faut justifier le prix, plus élevé que les autres. (...) Le réel n'existe pas en soi : mettez un bon vin dans une bouteille bas de gamme ou un fromage dans un emballage qui ne lui correspond pas et vous verrez que tout le monde s'y trompe. Nous vivons tous dans l'imaginaire."
De la même façon que ce sont les publicitaires de BETC qui ont rempli l'eau d'Evian de jeunesse, c'est à vous, les vendeurs, d'aider les clients à imaginer ce qu'ils vont faire avec vos produits et services. Et pour ce faire, de grâce, rangez votre présentation Keynote ou Powerpoint, mettez votre démo au placard et lancez-vous dans une conversation humaine.
Tout simplement.
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