Cela fait maintenant plus de 4 ans que je travaille avec la cellule Sales Operations d’une société multinationale spécialisée dans la fourniture d’équipements matériels et logiciels permettant de sécuriser l’accès de contenus vidéos – films, enregistrements en direct, documentaires – et d’en faciliter la consommation dans un environnement caractérisé par la pléthore de supports – qu’il s’agisse des écrans de télévision, des tablettes ou, en version plus réduite encore, des smartphones.
Depuis l’origine, l’objectif est clair : augmenter l’efficacité et l'efficience commerciales.
Au début, c’était on ne peut plus difficile. La société avait toujours vécu sur un leadership technologique indiscutable. Tout le pouvoir était concentré entre les mains des équipes de R&D. Elles faisaient la pluie et le beau temps pour ce qui avait trait à l’établissement de la feuille de route des développements à venir. Mais leur suprématie était loin de se limiter aux confins de la sphère technique. Elles exigeaient d’être engagées dans le suivi des opportunités commerciales, sur l’air de « montrons à nos prospects combien nos produits sont innovants et la vente ira de soi ». Les commerciaux étaient recalés au rang de preneurs de rendez-vous ou de porte-serviettes dans le meilleur des cas. Et comme on ne leur demandait pas de prendre d’initiative, ces derniers s’en remettaient à leurs homologues du département « produits » pour toute une série d’activités allant de la construction de présentations, la réalisation de démonstrations, sans oublier la rédaction des sacro-saintes propositions commerciales, des documents souvent composés de centaines de pages de descriptions techniques à peine compréhensibles pour des doctorants en intelligence artificielle.
Tout allait bien jusqu’au jour où l’avantage concurrentiel reposant sur l’avance technologique vint à s’effriter. De nouveaux acteurs – Américains pour la plupart – apportaient une vision alternative au marché : moins de matériels – des cartes à puce sauvegardant des clés de cryptage d’accès à l’information, notamment – plus de logiciels. Et qui dit disparition du lourd (hardware) au profit du léger (software) dit aussi baisse drastique des coûts marginaux de fabrication, avec, à la clef, une chute irrémédiable des tarifs en clientèle.
Au début, malgré l’irruption de ces nouveaux entrants et les premières pertes de marché, la croyance en la suprématie était telle, que l’entreprise se mit en mode déni. Au lieu de prendre acte du changement des conditions concurrentielles, l’idée fut de faire encore plus de ce qu’on faisait avant. Si une proposition d’une centaine de pages à haut contenu technique ne suffisait pas, on allait y joindre une autre centaine de pages représentant, que sais-je, les schémas des composants électroniques. Si une démo d’une heure ne suffisait pas à emporter le marché, on en ferait de plus longues, des sortes de « deep dive » techniques permettant de traiter toutes les questions par le menu.
Malgré les efforts consentis, les résultats ne s’améliorèrent pas. Au contraire, plus l’entreprise se raidissait sur sa position de leadership technologique, plus les nouveaux entrants adoptaient une stratégie de flanc, mettant en avance légèreté des solutions proposées, versatilité des modalités d’utilisation.
Consciente de la dérive fatale dans laquelle s’engageait l’entreprise, l’équipe sales operations décida de prendre les choses en main. « C’est un changement radical de mentalité qu’il faut réaliser », devait affirmer Raphaëlle[1]. « Si nous ne faisons rien, nous allons nous faire dévorer par la concurrence ; il faut redonner le pouvoir aux vendeurs ». Deux initiatives furent menées de front pour accompagner ce rééquilibrage des forces. La première consista à mettre de l’ordre dans l’intervention des ressources internes, notamment des équipes « produits ». Un processus simple reposant sur trois jalons fut mis en place : un premier jalon pour savoir si l’opportunité valait la peine que l’entreprise dans son ensemble investisse en temps et ressources dans son suivi, un deuxième pour valider que l’entreprise était prête à s’engager dans la fourniture des facultés désirées par le client et un troisième pour blinder les dispositions juridiques. En parallèle, les équipes de vente furent formées à la méthodologie CustomerCentric Selling® dans le cadre d’ateliers où elles apprendraient comment conduire des cycles de vente en clientèle et, par voie de conséquence, se conformer aux exigences internes en termes de passages de jalons.
Les résultats furent probants. En dépit d’une forte résistance interne à la mise en place de processus jetant toute la lumière sur les points de force et de défaillance des uns et des autres, l’organisation dans son ensemble allait se montrer plus sélective dans le choix des opportunités suivies. Témoin de cette efficience accrue, durant la dernière année (et la première où les résultats furent mesurés avec constance), le taux de conversion toutes opportunités confondues et toutes choses égales par ailleurs allait faire un bond de 30%, passant de 13% à 17%.
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[1] Pour des raisons de confidentialité, les prénoms ou noms des personnes ont été modifiés.
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