Récemment, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Martin et Clément (1), respectivement CEO et COO d’une jeune pousse spécialisée dans l’édition de logiciels spécialisés vendus en mode souscription annuelle.
Lors de notre entretien, je les interrogeai sur l’impact lié à la mise en place de leur nouveau processus de vente structuré autour de la méthodologie CustomerCentric Selling®.
Tout avait commencé deux ans plus tôt. La société sortait d’une période difficile où prévalait une démarche de vente agressive fondée sur la mise sous tension de l’équipe commerciale. Pour atteindre les objectifs de chiffre d’affaires, la direction commerciale exigeait la réalisation de toujours plus d’appels, toujours plus de présentations, de démos, de propositions, suivies de multiples appels de relance. Et comme la réalisation des objectifs devenait de plus en plus difficile, le management commercial succomba à la tentation de compenser le manque de résultats par un surcroît d’activités. C’était la course à l’échalote et malgré les efforts consentis, Martin et Clément déploraient un basculement de plus en plus fréquent vers des ventes « arrachées » au prix de rabais de plus en plus gras. Toutes les transactions étaient réalisées sur la base de l’octroi d’un rabais. La taille moyenne des affaires se montait à 24K euros d’abonnement annuel. Enfin, comme les ventes étaient alimentées par la pression du commercial plus que par un travail de co-construction de la valeur, le taux de renouvellement à 1 an des abonnements se montait à 70%.
Le churn passe de 30% à 10% en deux ans.
A la question de l’impact majeur associé à la mise en place du nouveau processus de vente, Clément évoqua immédiatement la diminution du taux d’attrition aussi appelé « churn » par les spécialistes. Il faut dire que l’amélioration était spectaculaire : de 30% il y a deux ans, le churn était passé à 10%.
Lorsque j’interrogeai Clément pour comprendre ce qui expliquait pareille évolution, il me répondit que cela était dû avant tout à la modification du comportement commercial. « Avant », me confia-t-il, « les commerciaux étaient obsédés par l’idée de présenter l’offre et d’organiser des sessions de Proof of Concept techniques avant d’émettre une proposition. Si la vente se réalisait, c’était à l’arrache, au forcing. Et comme le client, poussé à l’acte d’achat, n’avait pas forcément les idées claires sur les modalités d’utilisation des logiciels ni la valeur qu’il pouvait en retirer, sa propension à faire défection était forte dès l’origine. »
« Désormais, la vente n’a lieu que si le commercial a été capable d’aider le client à mettre en cohérence le POURQUOI – ses enjeux, ses objectifs – avec le COMMENT – les scénarios d’utilisation susceptibles de l’aider à atteindre ses objectifs – et le QUOI – les fonctionnalités produit et les services d’accompagnement. Mieux, comme le client sait mettre bout à bout son enjeu d’amélioration, la solution permettant d’adresser l’enjeu et l’offre, il est en mesure d’exprimer la valeur qu’il peut retirer de l’utilisation de nos produits et services. Au moment de la mise en œuvre, il dispose d’une feuille de route précise sur la façon de tirer le meilleur parti de notre offre. Dès lors, sauf accident de parcours, le client n’a pas de raison objective pour ne pas proroger son engagement avec nous. Le taux de défection chute donc ; c’est mécanique. »
La proportion d’affaires conclues sans rabais passe à 67% en 2017.
Après avoir abordé la question de la diminution du taux de défection client, je demandai à Clément et Martin quels étaient les autres impacts les plus significatifs. Clément me laissa à peine le temps de terminer ma question et avança : « le discount ».
Devant mon air étonné, il précisa : « Je n’ai aucune idée de la proportion d’affaires signées sans discount il y a deux ans, même si je pense qu’elle devait être plutôt faible. En revanche, ce que je sais, c’est que l’année dernière, 2 affaires sur 3 étaient signées sans le moindre rabais ou remise. »
Là encore, je tentai de savoir ce qui pouvait expliquer une amélioration aussi sensible de la performance. Clément fut prompt à répondre : « Je vois deux raisons à ce progrès. D’abord, c’est un effet collatéral de l’approche de vente par la valeur que j’évoquais plus haut. Mais au-delà de ça, il y a aussi une question de posture. En interne d’abord, puisque tant Martin que moi avons fait passé un message que ne démentirait sûrement pas Elon Musk dans une de ses colères devenue célèbre. En externe aussi, puisque nous avons exigé de la part des commerciaux qu’ils déploient systématiquement des chemins de résistance à chaque fois que des clients exprimeraient des demandes de rabais. C’est incroyable comme, au début, certains commerciaux pouvaient avoir du mal à dire « non ». Pourtant à l’usage, la fermeté a payé. Non seulement nous pouvons préserver notre marge présente et future, mais aussi, les clients nous témoignent une certaine forme de reconnaissance. Notre fermeté représente pour eux un gage de confiance dans ce que nous offrons ; ils n’en sont que mieux confortés dans leur choix. »
La durée moyenne du cycle de vente a été plus que divisée par 2.
Devant l’enthousiasme montré par Clément et Martin, je demandai si il y avait d’autres impacts positifs à l’utilisation de CustomerCentric Selling®. Martin prit la main à ce moment pour indiquer que le cycle de vente moyen était passé de 5 mois à 2,1 moins en moyenne. Tous deux étaient d’accord sur l’explication associée à ce phénomène : une qualification plus rigoureuse des opportunités dès les début de la relation. En particulier, Clément insista sur la nécessité de montrer une forte exigence quant au fait que le client reconnût un enjeu d’amélioration métier avant d’approfondir les considérations d’ordre technique.
A l’issue de notre entretien d’une richesse exceptionnelle, alors que je marchais dans la nuit froide de janvier pour me rendre chez moi, je m’efforçai d’effectuer une synthèse de ce que j’avais appris. Je me rappelai par exemple avoir été surpris de constater que le panier moyen n’avait pas significativement évolué sur la période et s’était stabilisé autour d’une valeur d’abonnement annuel de l’ordre 24KE. En outre, les efforts de consolidation de la base de clientèle étaient tels que le nombre de clients était resté pratiquement constant sur la période, autour de 210. Je me rendis aussi compte que j’avais omis d’aborder la question du tunnel de conversion, pour savoir notamment si l’utilisation de la méthodologie avait eu une influence sur le taux de transformation des affaires.
Pour autant, je me pris à effectuer un calcul simple de quantification des progrès réalisés. Je décidai d’utiliser l’indicateur synthétique de « valeur à vie » des clients, sous mieux connu sous son équivalent anglais de « Lifetime Value », voire sous son acronyme de LTV.
Le formule de calcul est simple. Il s’agit de diviser le panier moyen par le taux d’attrition, le fameux churn.
Avant l’utilisation de la méthode, la LTV était de 80KE (soit le résultat de la division 24KE par 30%). Deux ans plus tard, la LTV se montait à 240K (ou encore, le résultat de la division 24KE divisé par 10%), soit une multiplication par 3.
Et comme, dans le monde des entreprises de technologie, il existe une corrélation étroite entre la valorisation des sociétés et la valeur du capital client, on pourrait presque avancer que la valeur de la société est passée de 16,8ME à 50,4ME en simplement l’espace de 2 ans.
Un grand coup de chapeau, Messieurs !
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(1) Afin de préserver l'anonymat de l'entreprise et des personnes, les prénoms des personnes interviewées ont été modifiés.
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