Dans l'éventail des expressions toutes faites qui fleurissent le babil des vendeurs et démarcheurs de tout poil, figure en bonne place le sempiternel "c'est facile." Cette expression vient en général en réponse à la question du prospect ou client de savoir ce qu'il faut faire pour mettre en place le produit/service proposé. Elle surgit comme un couperet tant elle a le don de stopper le prospect dans ses aspirations les plus sincères à comprendre ce qu'il lui importe de faire pour tirer le meilleur parti de l'offre du vendeur.
Quelle occasion manquée pour le vendeur !
Car en disant "c'est facile", le vendeur éteint le désir du client de s'impliquer dans la mise en oeuvre ; il le dépossède de sa propre capacité de jugement sur le degré d'aisance ou de difficulté requis pour que le produit ou service du vendeur fonctionne dans les meilleures conditions. Mais pire encore, l'énoncé du vendeur inhibe la volonté d'engagement du client dans sa démarche d'adoption, le déresponsabilise du revers de son effet de manche. Sans compter qu'avec une pareille affirmation, le vendeur se prive, dans la plupart des cas, de l'opportunité de vendre des services d'accompagnement pour faciliter la prise en main de son offre par son client.
Dans un billet récent intitulé "The pre-mortem", Seth Godin suggère que les vendeurs fassent exactement le contraire. Qu'au moment d'évoquer les modalités de mise en oeuvre, au lieu de dire "c'est facile", ils mettent en relief tout ce qui peut faire que les choses se passent mal, toutes les causes de mort prématurée de l'initiative, tout ce qui peut entraver l'adoption du projet et se mettre en travers de son succès ultime.
Ce n'est pas en clamant haut et fort que "c'est facile" que vous vendeurs, aidez votre client à prendre sa décision en toute connaissance de cause. C'est plutôt en lui révélant les angles morts, les impératifs en termes d'allocation de ressources, en soulignant les risques à faire preuve d'un optimisme béat.
Au bout du compte, quand l'acte de vente sera un lointain souvenir dans le passé, votre client vous saura gré de lui avoir ouvert les yeux sur les points d'achoppement potentiels. Sa confiance pour prolonger la relation avec vous n'en sera que raffermie.
Car si, pour paraphraser Eddy Mitchell, "c'est facile, les promesses et les serments", c'est sans doute beaucoup plus malaisé de pointer du doigt les points de friction ou aspérités susceptibles de contrarier le bon déroulement des opérations. Mais c'est tellement plus gratifiant !
J'adore l'approche "pre-mortem" préconisée par Seth Godin. Un bon "pre-mortem", c'est le moyen le plus sûr de minimiser le risque de constater le rigor mortis d'une affaire conduite de façon trop imprévoyante. Et puis enfin, n'est-il pas plus plaisant de discuter sur les affaires quand elles sont là, bien vivantes, plutôt que de passer du temps à faire le "post mortem" des initiatives d'achats jetées pêle-mêle dans le cul de basse-fosse des échecs par manque d'adoption. Surtout si c'est pour découvrir que la cause du décès est à chercher dans un excès d'imprévoyance au moment d'aborder les modalités de mise en oeuvre. Peut-être même qu'à ce moment-là, une oreille fine pourra discerner l'écho d'un "c'est facile" aussi comminatoire que fatal...
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PS : Pour les nostalgiques des années 60-70 dont je suis, je ne saurais trop vous inviter à visionner le clip de la chanson d'Eddy Mitchell, alias Claude Moine, en star du rockabilly à pattes d'eph et à banane lustrée. C'est ici et ça vaut son pesant de cacahuètes électriques.
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