Chaque année, j'anime une semaine de formation dédiée à la vente à l'attention d'un groupe d'étudiants de l'école Centrale de Paris, auquel se joint un certain nombre de chercheurs. Qu'est-ce qui rassemble ces jeunes gens ? Leur souhait de créer rapidement une jeune pousse sur la base d'une innovation technologique.
Il y a deux ans, j'avais déjà eu la chance de côtoyer des chercheurs spécialisés dans les sciences du vivant. J'avais rencontré en l'occurrence Jean-Baptiste Marie, le fondateur depuis d'Abbelight, une société de fabrication et de commercialisation de nanoscopes. A l'époque, je me souviens avoir été fasciné par la capacité de Jean-Baptiste de rendre accessible ce qu'il vendait au commun des mortels, à travers un savoir-faire avéré pour contextualiser les scénarios d'utilisation de son offre, pourtant ô combien complexe. Je m'en étais déjà ouvert ici.
Cette année, j'ai connu une expérience pratiquement similaire avec Jeanne Volatron, doctorante à l'université Paris Diderot, spécialisée sur les nano-particules. En même temps qu'elle passe sa thèse d'Etat, Jeanne a mis au point un procédé consistant à améliorer les performances de la médecine régénérative à travers la fabrication, à partir de cellules-souches, de vésicules extra-cellulaires dotées des mêmes propriétés régénératives que les cellules-souches dont elles sont issues.
Si, comme moi, vous n'êtes pas de la partie, cela ressemble étrangement à du chinois.
C'est pourquoi je demandai à Jeanne qu'elle m'explique l'utilisation de ces fameuses vésicules extra-cellulaires. Elle me proposa alors le dialogue suivant, imaginé entre elle-même et Jean, un chercheur spécialisé dans la recherche sur la guérison des tissus lésés suite à un infarctus du myocarde.
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Jeanne : « Bonjour Jean. »
Jean : « Bonjour Jeanne. »
« - Jean, je voudrais discuter avec toi de tes expériences in vivo pour soigner les conséquences d’un infarctus du myocarde sur les souris. Comment t’y prends-tu aujourd’hui ?
- C’est simple. Après avoir mimé un infarctus chez la souris, j’injecte des cellules souches à l’endroit du tissu lésé.
- Je vois. Cela passe-t-il par un processus préalable de culture et d’amplification des cellules souches ?
- Oui, c’est cela même.
- Et se peut-il que, parce que ces cellules sont grosses, cela entraîne un risque d’embolie pulmonaire chez les souris ?
- Tu as raison Jeanne. Cela se produit assez souvent en effet.Souvent ?
- Oui, dans près d’un cas sur 2, la souris meurt, que ce soit en raison d’une embolie pulmonaire ou des suites d’un tératome.
- 1 cas sur 2… Combien d’expériences as-tu menées depuis le début de l’année, Jean ?
- Près de 400.
- Est-ce à dire que 200 souris sont mortes en conséquence directe des expériences que tu as réalisées sur elles ?
- N’est-ce pas frustrant ?
- Je ne te le fais pas dire, Jeanne.
- Et qu’est-ce que cela implique par rapport à la conduite de tes recherches ?
- Ben… Tu sais bien… Je dois écarter de mes statistiques les points correspondant à cette surmortalité des souris. Cela implique en amont de réaliser mes expériences sur un nombre de souris beaucoup plus élevé que ce que j’avais prévu initialement… Au bout du compte, j’ai bien peur que la surmortalité observée sur les souris invalide complètement ma démarche…
- Je vois. Pas très réjouissant comme perspective.
- En effet…
- As-tu imaginé des scénarios alternatifs, Jean ?
- Non, Jeanne, je suis en panne d’idée. Toi de ton côté, as-tu des suggestions à me faire ?
- Hum… J’ai en effet une idée qui me traverse l’esprit.
- Mais encore ?
- Lorsque tu veux tester ta démarche de médecine régénérative sur les souris, obtiendrais-tu des résultats plus probants et notamment minimiserais-tu le risque d’embolies pulmonaires si, au lieu d’injecter des cellules souches, tu pouvais injecter directement les vésicules extracellulaires issues de ces cellules mères dont la taille est réduite à quelques centaines de nanomètres uniquement ?
- Intéressant comme idée. Mais tu sais bien Jeanne que ces vésicules sont difficiles à produire en laboratoire pour réaliser un grand nombre d'expériences…
- Détrompe-toi, Jean, nous avons développé une méthode de production simple, permettant de produire des vésicules extracellulaires à grande échelle. Ce procédé est également compatible avec la certification GMP (BPF en français pour « bonne pratique de fabrication ») dans le cas où tu voudrais poursuivre tes expériences en étude pré-clinique voire clinique. Avec notre approche, pas besoin de s'équiper pour la production de vésicules, nous proposons des lots de vésicules extracellulaires issues de cellules de ton choix, caractérisées et purifiées, soit directement prêtes à l'emploi.
- C’est très intéressant, en effet.
- Penses-tu, Jean, qu’en utilisant les vésicules extracellulaires dont la taille est inférieure de plusieurs ordres de magnitude par rapport à celle des cellules souches, tu pourrais réduire le risque d’embolies d’un côté et de formation de tératomes de l’autre ?
- Assurément !
- Et dans quelles proportions ?
- Oh ! Tu me poses là une question délicate. Mais je dirais à vue de nez qu’une diminution de 80% me semblerait raisonnable.
- Est-ce à dire que 160 souris (80% des 200 qui sont mortes) auraient eu la vie sauve ?
- Oui, c’est bien ça.
- Et cela revient-il à dire que tu aurais pu qualifier sur ces 160 cobayes la pertinence et la validité de ton modèle ?
- Oui Jeanne, les gains sont phénoménaux. Car avec ce changement de méthode – le fait de privilégier les vésicules extracellulaires aux cellules-souches, je dois pouvoir réduire dans des proportions significatives le temps d’expérimentation du modèle. Et tout ce temps gagné, je peux le consacrer à affiner mon modèle, à travers la multiplication de tests et l’analyse de scénarios exploratoires in vivo… Tu es géniale, Jeanne ! »
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Comme avec Jean-Baptiste, je fus surpris de la fluidité de l'explication. En mettant sous le format d'une conversation l'explication de la façon dont l'innovation proposée - la fabrication de vésicules extra-cellulaires - pouvait apporter de la valeur à un chercheur désireux d'augmenter l'efficacité de sa démarche, Jeanne venait de rendre clair ce qui, auparavant, m'était apparu comme du jargon d'expert.
A ce stade, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter, chère Jeanne, qu'un succès aussi resplendissant que celui rencontré par Jean-Baptiste dans la commercialisation de ses nanoscopes.
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