Dans un essai de 1944, paru dans Poésie 44, (Sur une philosophie de l'expression), Albert Camus écrivait : "Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde".
Aussi étonnant que cela puisse paraître de prime abord, cette citation s'applique parfaitement au monde de la vente. Et plus particulièrement lorsqu'il s'agit de nommer les étapes du processus de vente. Autrement dit, un nommage déficient peut être à la source d'une performance commerciale sous-optimale voire médiocre.
Récemment, Pierre, un directeur commercial de start-up m'adressa la demande de savoir si je voyais un inconvénient particulier à ce qu'il réutilise ce qu'il estimait être la terminologie standard du marché en matière de nommage des étapes d'un processus de vente :
- Discovery
- Qualification
- Evaluation
- Negotiation
Pour être plus précis, il me demanda s'il y avait un intérêt particulier à se départir de cette nomenclature.
Ma réponse fut sans appel : "Oui, oui et oui."
Car cette nomenclature est déficiente. Pourquoi ? Parce qu'elle n'éclaire en rien sur les progrès réalisés par le client dans son parcours d'achat ; elle ne fait que décrire une séquence d'activités du commercial. C'est bien joli que le commercial fasse une découverte (discovery) de son client, mais en quoi cela aide-t-il le client à acheter ? Et en l'absence d'un client qui achète, au risque de sombrer dans la tautologie, le commercial ne vend pas...
La plupart des processus de vente dits "standard" constituent à ce titre des freins à la performance commerciale.
Pensez à ceux proposés par défaut par les vendeurs de CRM. A force de vouloir aligner la gestion du portefeuille d'affaires en cours avec l'établissement des prévisions de vente, ils génèrent des discussions aussi oiseuses que stériles sur la différence entre "Pipeline", "Best Case", "Upside", ou "Commit". Quel gâchis de temps et d'énergie !
Vous avez pu entendre parler aussi des fameux R1-R2-R3. Il s'agit là d'un héritage de la vente à l'arrachée sur des activités où l'entreprise perd de l'argent dès qu'il faut plus de 3 rendez-vous pour conclure une affaire. Cela en dit long sur le caractère gratifiant de l'achat pour le client soumis à cette cadence impeccablement rythmée.
Et puis, vous avez sans doute vu les processus du type : "Rendez-vous" - "Présentation" - "Démo" - "Proposition" - "En attente du Contrat" - "Contrat Signé". Sans doute la palme de l'inefficacité ! Car il offre une incitation objective à la pratique par les commerciaux du fameux "show up and throw up", ou ce qu'en bon français on appellera "la déballe". Ce type de processus, très siècle passé, repose sur l'idée reçue que, pour vendre, il faut éduquer le client et qu'une fois que celui-ci connaîtra par le menu l'offre du vendeur, il ne pourra que... signer le bon de commande. Comme si l'information faisait vendre... Et sans compter que ce type de processus pousse aussi à la remise prématurée de la proposition commerciale. Ce qui nous renvoie à l'erreur de design de processus de vente n°1 : la totémisation de la proposition.
Une étude publiée par Marketo il y a quelques temps et synthétisée ici mettait en évidence que, par rapport aux nomenclatures de processus les plus standard, le fait de renommer les étapes en prenant soin qu'elles reflètent conjointement l'avancement du client dans son parcours d'achat et le degré de préférence du client vis-à-vis du vendeur pouvait engendrer une amélioration de performance de... 87%.
--
PS 1 : Une version en anglais de ce billet est disponible sur LinkedIn. C'est ici.
PS2 : Dans la série des erreurs de design de processus de vente :
- Erreur de design de processus de vente n°1 : la proposition
- Erreur de design de processus de vente n°2 : assimiler efficacité commerciale et niveau d'activité
- Erreur de design de processus de vente n°3 : confondre processus et automatisation
- Erreur de design de processus de vente n°4 : ne s'intéresser qu'aux prospects en phase de recherche active de solution
- Erreur de design de processus de vente n°5 : disposer d'étapes déséquilibrées
- Erreur de design de processus de vente n°6 : demander au cornac d'organiser la parade des éléphants
- Erreur de design de processus de vente n°7 : mesurer à tort et à travers
- Erreur de design de processus de vente n°8 : vouloir évangéliser le marché
- Erreur de design de processus de vente n°9 : oublier le client
- Erreur de design de processus de vente n°10 : négliger l'adoption
- Erreur de design de processus de vente n°12 : faire de la signature l'étape ultime du processus
Commentaires