Il y a quelques temps, j'ai pu assister à une table ronde réunissant des spécialistes du référencement naturel sur le web, ce que les jargonneux appellent le SEO, soit le "Search Engine Optimization".
Autant vous le dire tout net : je n'ai pas compris un traître mot de toute la conférence. Ce n'étaient qu'acronymes, mot anglais aux contours abscons et autres préciosités de spécialistes se complaisant dans les délices interlopes du langage obscur.
A un moment donné, l'animateur de la table-ronde demande à ses quatre invités quel est, selon eux, l'obstacle majeur auquel ils doivent faire face pour faire valoir la qualité de leur contribution en entreprise. Les invités répondent d'une seule voix, la mine contristée : le manque d'engouement des directions générales et, par là-même, leur réticence à investir. L'un d'eux s'indigne même : "C'est incroyable ! Ils ne connaissent même pas le b.a.-ba de la profession". L'animateur interroge pour savoir comment surmonter cet obstacle. Au débotté, un participant avance : "C'est simple... Il suffit qu'ils se forment au SEO. Quand ils comprendront ce que c'est, ils verront la nécessité d'investir."
Je suis effondré. J'assiste à une véritable inversion du sens. Car ventrebleu ! Ce n'est pas aux dirigeants de connaître les finesses du SEO, c'est aux experts du SEO de simplifier leur propos pour (i) que les dirigeants le comprennent et (ii) puissent apprécier l'importance que cela revêt pour l'organisation.
Je me rappelle alors le communiqué qu'Elon Musk, l'emblématique patron de Tesla, a diffusé auprès de ses employés pour évoquer les problèmes de production de la Tesla Model 3. Dans un contexte de crise, Elon Musk vante les mérites d'une communication claire :
“Don’t use acronyms or nonsense words for objects, software or processes at Tesla. In general, anything that requires an explanation inhibits communication. We don’t want people to have to memorize a glossary just to function at Tesla.”
En bon langage de chez nous, cela donne :
“Evitez d'utiliser des acronymes ou des mots dépourvus de sens pour désigner des objets, du logiciel ou des processus chez Tesla. En général, tout ce qui requiert une explication nuit à la communication. Nous ne voulons pas que les gens aient à mémoriser un glossaire pour interagir chez Tesla.”
Autrement dit :
Si vous ne pouvez pas l'énoncer avec des mots simples, compréhensibles par un enfant de cinq ans, c'est que vous ne le comprenez pas vous-même.
Et si vous ne le comprenez pas vous-même, comment voulez-vous qu'un dirigeant l'appréhende au point d'investir dessus ?
Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément.
Nicolas Boileau
Rédigé par : Mascaret | 17/07/2018 à 10:32
Cher Mascaret,
Vous avez raison. La citation de Boileau vient fort à propos.
Mais il y a un point supplémentaire que je crois ne pas être parvenu à rendre dans mon billet.
En parlant "technique", les experts enferment le discours au plus proche de l'objet, du quoi.
En simplifiant le propos, les locuteurs peuvent établir des connexions entre l'objet, son usage et la valeur induite. Le discours prend alors de l'ampleur puisqu'il se déplace de l'objet vers des niveaux supérieurs d'abstraction grâce auxquels un dirigeant saura prendre une décision d'investissement.
A suivre, donc.
Rédigé par : Jean-Marc à Mascaret | 18/07/2018 à 22:14
Bonjour Mascaret,
Toujours à propos de la clarté de l'expression, je viens de tomber sur une jolie citation d'Albert Camus :
«La logique du révolté est... de s'efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel.»
Bien à vous,
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Mascaret (bis) | 19/07/2018 à 11:14