Depuis près de 15 ans que j’interviens en conseil auprès des entreprises de technologie, je ne cesse de m’entendre dire que les commerciaux ne sont pas assez bons en phase de découverte, qu’ils se laissent trop souvent porter par la soif de montrer leur produit, qu’ils ne creusent pas assez, etc.
Quand je m’enquiers de l’avis des clients, j’entends une autre forme d’antienne. C’est plutôt des phrases du genre : « Mais quelle mouche les a piqués tous pour qu’ils nous abreuvent de questions sans queue ni tête ? » Ou encore : « Mais comment ces commerciaux peuvent-ils croire un instant que je vais répondre à leurs questions sur notre chiffre d’affaires, notre marge et que sais-je encore ? »
Enfin, lorsque je m’adresse aux commerciaux et que je leur demande quelle est la clé de la réussite dans la vente, ils me répondent tous de façon unanime : « Savoir poser des questions ». Certains, soucieux du détail, rajouteront « ... ouvertes. Des questions ouvertes ».
Une étude récente publiée par Chris Orlob de Gong sur LinkedIn montre que nous sommes en plein délire. En effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les entretiens de découverte les plus riches en questions sont aussi les plus... improductifs.
Je vous vois vous cabrer sur votre chaise. Mais avant de vous insurger définitivement, je vous invite à poursuivre la lecture de ce billet. Vous allez voir, tout s’éclaire au fur et à mesure que l’histoire se dévoilera devant vos yeux ébahis.
Un mot d’introduction sur le contexte d’abord ?
L’étude à laquelle je viens de faire allusion résulte de l’analyse de 39.105 entretiens de « découverte » réalisés à travers des plateformes de téléconférence. Elles ont fait l’objet d’une transcription automatique et simultanée à l’image de ce que la société Allomédia peut proposer à ses clients. Une fois la transcription réalisée, le moteur d’intelligence artificielle de Gong établit des corrélations entre les caractéristiques de l’entretien (durée, nombre ou fréquence des questions, nature des questions posées) et des indicateurs de résultat comme la conversion en vente effective.
La première conclusion qui découle de l’analyse est on ne peut plus contre-intuitive : plus vous posez des questions de découverte, plus vos chances de conclusion favorable décroissent.
Selon Gong, il y a une forte corrélation négative entre le nombre de questions de découverte et la signature d’affaires. Ou, pour être plus précis, au-delà d’un petit nombre situé entre 4 et 5, chaque question additionnelle concourt à une baisse de vos chances de conclure l’affaire.
Comme illustré dans le graphique ci-dessous, le nombre moyen de questions de découverte posées lors de transactions concluantes est de 4, quand il est égal au double – soit 8 – sur les affaires non concluantes.
Ces résultats sont d’autant plus troublants qu’il y a à peine plus d’un an, dans une autre étude, nos mêmes experts de Gong affirmaient, données à l’appui, que le nombre idéal de questions de découvertes se situait entre 11 et 14.
Alors, que s’est-il passé pour qu’en simplement l’espace d’un an, les résultats diffèrent de façon aussi significative ?
Il y a le fait que les chercheurs ont rajouté un axe d’analyse : la position ou le statut de l’interlocuteur client.
Dans l’étude de cet été, les analystes de Gong ont limité le champ d’investigation aux seuls entretiens dits de « découverte » mettant en présence le commercial et un interlocuteur disposant d’un titre de directeur ou plus haut, c’est-à-dire de quelqu’un situé au-dessus de la ligne du pouvoir.
Que conclure de ce résultat ?
Que plus vous tapez haut dans les organisations, plus vos interlocuteurs ressentent de l’agacement à se voir infligées les fameuses questions de « découverte » typiques d’un vendeur. Dans le meilleur des cas, ils éprouveront le sentiment de perdre leur temps dans une conversation de salon, dans le pire des cas, de subir un interrogatoire de police.
Et figurez-vous que, toujours grâce à nos amis de Gong, vous disposez maintenant d’un indicateur pour apprécier le degré de lassitude de votre interlocuteur : le temps moyen de réponse à vos questions.
La lassitude des clients s’entend dans les conversations comme elle se voit sur ce graphique.
Plusieurs explications me viennent à l’esprit pour expliquer ces résultats défiant le sens commun.
D’abord, les questions dites de « découverte » servent le plus souvent l’intérêt du vendeur plus que celui du client. La plupart du temps, par je ne sais quelle fantaisie, le commercial se sent dans son bon droit de poser autant de questions qu’il lui plaît comme s'il était naturel que les clients se plient en quatre pour faire l’éducation des vendeurs.
Ce phénomène est amplifié par le déploiement massif des progiciels de gestion de la relation client (CRM). Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais souvent, le paramétrage dudit CRM fait la part belle à la description par le menu du client, à son dépeçage numérique façon puzzle. Un champ pour le code d’activité, un autre pour le chiffre d’affaires, un pour la marge, un pour le nombre d’employées, le pourcentage de CA réalisé sur le marché domestique, le % de CA consacré à la dépense informatique et j’en passe et des meilleures. En alignant des dizaines de questions dites de « qualification » de compte, les personnes en charge du paramétrage du CRM, sans doute armées des meilleures intentions, induisent un comportement pervers chez les commerciaux : celui consistant à demander aux clients de répondre aux questions qu’eux-mêmes auront à remplir quand, une fois rentrés au bureau, ils auront à rendre des comptes sur leur entretien en clientèle.
Je vois aussi une deuxième raison encore plus pernicieuse que la première. C’est celle que j’appellerais le « poison de la question ouverte à foison ». Pendant des années, les formateurs commerciaux de tout poil ont insisté sur l’impératif consistant à poser des questions ouvertes aux clients durant la phase dite de « découverte ». Or, pour reprendre la métaphore popularisée par Stephen Covey, chaque interaction peut être comparée à la gestion d’un « compte émotionnel ». Chaque fois que vous sollicitez de l’information, c’est comme si vous effectuiez un retrait sur le compte émotionnel de votre interlocuteur. A force de vous voir effectuer des retraits sans faire de dépôt, votre interlocuteur va progressivement se sentir la dupe d’un jeu où il n’a rien à gagner. Il répondra de façon de plus en plus courte, allusive, voire, manifestera à un moment donné son intention de rompre là.
Alors comment pallier cette situation ?
De deux façons, à mon sens.
D’abord en cessant d’utiliser l’expression « entretien de découverte » côté vendeur. Car les clients n’ont aucune envie de se faire « découvrir » ou « mettre à nu ». Le terme « découverte » met trop l’accent sur le bénéfice du vendeur, sans qu’apparaisse celui du client. C’est pourquoi, je préfère l’expression « entretien de diagnostic ».
Ensuite, ce « diagnostic » doit obéir à une structure dans laquelle « retraits » et « dépôts » s’équilibrent. Après les 4-5 questions ouvertes permettant de comprendre l’environnement dans lequel opère le client, le commercial doit changer de registre et apporter de la valeur à l’entretien. Comment ? En racontant des histoires de clients ayant réussi à dépasser des situations similaires, en suggérant des causes inattendues aux éventuelles difficultés énoncées, voire mieux encore, en amenant le client à découvrir par lui-même les raisons à l’origine de la situation.
Ce n’est qu’après avoir effectué ce « dépôt émotionnel » sous la forme d’un « apport de valeur » que le commercial aura gagné un crédit et une légitimité l’autorisant à approfondir le diagnostic et même par un nouveau questionnement s'il le faut.
Par suite, le bon entretien de « découverte » ne vise pas à découvrir le client. Il ressemble plus à un « diagnostic » pendant lequel le vendeur alterne avec élégance les « dépôts » et les « retraits » émotionnels. Cette alternance de « dépôts » et de « retraits » se manifeste dans une séquence d’affirmations et de questions permettant au client d’apprécier à tout moment la valeur que vous apportez à l’entretien. Quant au résultat à la fin de l’échange, il importe que le client ait gagné en clarté et en compréhension sur sa propre situation de telle sorte que son esprit soit désormais ouvert à l'écoute de vos recommandations.
Et comme les résultats de l’étude Gong le stipulent, le respect de cette séquence de « dépôts » (affirmations) et de « retraits » (questions) est encore plus essentiel lorsque vous traitez avec des interlocuteurs de haut niveau.
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PS : Cet article a fait l'objet d'une publication sur LinkedIn. Vous pourrez le trouver ici.
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