Personne n’achètera une solution à un problème qu’il n’a pas.
Cela s’apparente bien à une lapalissade. Pourtant, la plupart des vendeurs et des spécialistes de marketing autour de moi consacrent l’essentiel de leur temps et de leur énergie à nous seriner des caractéristiques et des bénéfices - à nous parler "solution" - sans se préoccuper de savoir si l’interlocuteur en face d’eux considère avoir un problème rendant désirable l’utilisation du produit ou service dont ils font la réclame.
Or, j'ai récemment travaillé avec le patron d'une start-up technologique (1) aidant les transporteurs aériens à réduire leur dépense de carburant sur les avions.
A priori, les enjeux sont de taille. Les dépenses de carburant représentent jusqu’à 30% de la structure de coût de leur compte d’exploitation. Et l'utilisation du produit phare de la start-up en question permet aux clients de réaliser une économie oscillant entre 3 et 5% de la dépense de carburant. Sur le plan financier, l'utilisation de la technologie proposée par cette start-up peut donc entraîner une augmentation du bénéfice net avant impôt située entre 1 et 1,5%. Le genre de chose qui ne laisse pas un patron indifférent, surtout s'il est du genre à vouloir "maximiser la valeur générée pour les actionnaires", soit la traduction du sacro-saint "maximize shareholder value".
Et c’est sans parler de l’impact écologique ! Pour vous faire une idée de ce qui est en jeu, pensez que les réductions d’émissions de CO2 et de gaz à effet de serre liées à l’utilisation de l'offre vedette de notre start-up, au sein d'une compagnie disposant d’une flotte de l’ordre de 300 aéronefs comme Air France équivaut à la circulation automobile dans une agglomération de plus de 600.000 habitants comme Toulouse.
Bénéfice économique, d'un côté, impact environnement positif, de l'autre. On pourrait se dire, comme je l’ai pensé lors de mes premiers échanges avec le patron de cette start-up, que vendre l'offre de la société devait s’apparenter à un jeu d’enfant.
Que nenni !
Mais alors pourquoi ?
D'abord, il faut savoir que les analystes financiers qui suivent les compagnies aériennes suivent la performance des sociétés en excluant précisément l’influence du poste kérosène. Si si ! Cela peut paraître fou quand on sait que le poste représente 30% de la structure de coût de la compagnie. Mais voilà, c'est ainsi. Nous nous trouvons en présence d'habitudes de travail datant de l'époque où l'énergie était abondante et bon marché. Encore une illustration patente, si besoin était, de la nécessité pour nous de revoir collectivement les indicateurs de mesure de la performance économique si nous entendons sérieusement relever les défis de la transition écologique.
Mais je m'égare... Revenons à notre dirigeant de compagnie aérienne. Dans le contexte où la dépense de carburant et la trace écologique passent au deuxième plan dans l'analyse de la performance économique et donc boursière, pourquoi diable un dirigeant de compagnie aérienne consacrerait-il du temps et de l'énergie à évaluer une solution comme celle proposée par mon patron de start-up ?
Comme le problème de la dépense de carburant en soi n'en est pas un au regard des analystes boursiers, il va falloir le créer en l'abordant selon un autre angle d'attaque. Autrement exprimé, l’enjeu en termes marketing va consister à « vendre » le problème, comme Seth Godin a pu l'illustrer avec brio dans un des billets de son blog consacré à ce thème.
Et c’est là que l’équipe de notre start-up a su faire preuve d’une grande finesse.
Imaginez, par exemple, qu’il soit possible de disposer de données objectives sur la performance des compagnies aériennes en termes d’utilisation du carburant, puis d’en publier le palmarès. D’un coup d’un seul, la partie basse de la liste se dit que, finalement, il y a là un sujet à traiter. « On ne va quand même pas se laisser dépasser par ces concurrents ! », disent-ils à l’unisson. Et si vous vous rendez compte subitement que votre compagnie dépense près de deux fois plus de carburant par passager que le meilleur de la catégorie sur des routes aussi concurrentielles que celles reliant Europe et Amérique du Nord, il y a tout lieu de parier que vous allez visualiser le problème. Et pas des moindres !
C’est exactement ce qu’a fait notre start-up en s’adossant sur une étude de septembre 2018 publiée par l’ICCT(International Council on Clean Transportation), une ONG indépendante sans but lucratif ayant pour vocation d’effectuer des recherches impartiales et de fournir leurs travaux aux autorités de règlementation environnementale.
Et voilà donc le palmarès tant attendu :
Comment lire ce tableau ? De la façon suivante : sur les routes transatlantiques, avec un litre de kérosène, NORWEGIAN fait faire 44 kilomètres à un passager, là où le moins bon élève de la classe – en l’occurrence BRITISH AIRWAYS en fait faire 27, soit presque deux fois moins.
Maintenant, le problème est posé et reconnu. Il devient beaucoup plus facile de s’assoir ensemble à la table de négociation et d’étudier de conserve comment le résoudre.
Et si en plus, comme c'est le cas en ce moment, le prix du pétrole flambe suite aux tensions fortes vécues au sein de la zone du Golfe, on peut même ajouter que la résolution du problème devient une priorité.
--
(1) Pour des raisons de confidentialité, mes interlocuteurs ont préféré garder l'anonymat.
Commentaires