Tous les ans, depuis maintenant plus de 10 ans, j’ai le plaisir d’intervenir auprès des étudiants de 3èmeannée de l’Ecole Centrale de Paris (ECP) de la filière Entrepreneurs. Pendant une semaine, je partage avec eux les fondamentaux de la vente. Et comme la plupart d’entre eux ont déjà en tête un projet de création d’entreprise, les réactions sont très enthousiastes car ils voient une mise en application pratiquement immédiate des concepts vus ensemble sur le nouveau campus de Saclay.
Parmi les dangers contre lesquels je tâche de prémunir les étudiants/entrepreneurs, il y a ce que j’appelle le cul-de-basse-fosse du « Proof of Concept » ou POC. Surtout lorsqu’il demandé par et réalisé pour un grand groupe. En effet, certains grands groupes, inquiets à l’idée de se faire « ubériser » (comme un disait il y a 2-3 ans) ont pris pour habitude de faire miroiter des contrats mirobolants à des patrons de startups spécialisées en technologie, moyennant la réalisation de POCs, c’est-à-dire la mise à disposition pendant une période allant de quelques semaines à quelques mois de la technologie en jeu. Certains de ces groupes allouent des tickets de 30 à 50K€ pour financer ces opérations.
Il y a un an, je reçus un appel de la part de Clément Jourdren et de son associé. Je les avais rencontrés un an avant alors que j’animais la semaine Vente de la filière Entrepreneurs de l’ECP. Ils partagèrent avec moi l’étendue du chemin parcouru depuis l’obtention du diplôme : la création de la société, la conception et le développement de l’offre technologique, les premiers contacts, les réactions… C’est alors qu’ils me firent part de leur embarras sur un POC en cours auprès d’un grand acteur du traitement de déchets. Le POC était probant : le client avait pu constater que l’utilisation de la technologie Neurowaste leur permettait d’optimiser la collecte et donc d’en réduire le coût. A la demande du client, Clément avait établi une proposition portant sur l’utilisation de Neurowaste dans la longue durée. Pourtant, après remise de la proposition et en dépit d’une durée limitée de validité, le client ne réagissait pas. Il procrastinait. Et bien sûr, il demandait en parallèle une extension de la durée d’utilisation du POC. Gracieuse, cela va sans dire. Clément pensait ne jamais voir le bout de cette histoire ! Après plusieurs rendez-vous sur place, une offre envoyée, plusieurs relances et échanges téléphoniques avec le client, l'étape de négociation finale semblait toujours être reportée aux calendes grecques. Et c’est parce qu’ils ne voyaient pas comment sortir de cette situation inconfortable qu’ils m’avaient appelé.
Je leur conseillai alors d'envoyer au client un courriel de retrait de leur offre. En quelques mots, la proposition pouvait être considérée comme nulle et non avenue. En parallèle, le POC était arrêté. A la fin du courriel, l’idée consistait à ce que, dans l’hypothèse où le client veuille maintenir la relation avec Neurowaste, ils repartent d’une page blanche.
Pour Clément, cette approche était contre-intuitive par rapport à tout ce qu’il avait pu entendre sur l’art et la manière de gérer la relation commerciale. Après plusieurs hésitations et malgré la peur de perdre définitivement le client, il avait fini par suivre mon conseil et il envoya le courriel de retrait. A sa plus grande satisfaction, la réponse du client dépassa toutes ses attentes : dans les 48h qui suivirent l’envoi de son courriel de retrait, il recevait une commande en bonne et due forme de la part de son client. L’événement était d’autant plus important qu’il s’agissait de la première commande ferme d’utilisation de Neurowaste dans la durée.
Par le plus grand des hasards, je croisais Clément dans la rue de façon inattendue. Nous échangeâmes quelques mots. J’interrogeai Clément sur le client qui les avait embarqués dans un POC à durée indéterminée et à qui ils avaient envoyé le courriel de retrait. Il me confirma que ce courriel de retrait avait été l’électrochoc indispensable pour obtenir la commande. « C’était il y a un », me rappela Clément. « Depuis », ajouta-t-il, « nous entretenons une excellente relation avec ce client. Ce premier test s'est finalement transformé en contrat d'utilisation du logiciel sur plusieurs années, avec en plus de nouvelles opportunités de développement chez lui. »
Que désirer de plus ?
Plus tard, quand je demandai à Clément ce qu’il retenait de cette histoire en sa qualité de jeune entrepreneur, il me dit :
« Je vois trois points essentiels :
La nécessité de mettre les idées préconçues sur la vente derrière soi.Le plus gros risque lorsque l'on démarre une activité me paraît être la perte de temps (qui est finalement une des seules ressources à notre disposition). Il vaut parfois mieux avoir un "NON" qui débloque une situation et apporte de la connaissance sur son marché qu'aucune réponse qui fait perdre du temps aux deux parties et n'apporte rien à personne.
La fin justifie les moyens si la faim est saine. J’avais déjà travaillé dans le domaine de la collecte des déchets. Je savais que mon offre était raisonnable. Je savais que l’utilisation de Neurowaste apporterait de la valeur à ce client. Fort de ces convictions, il n’y avait aucune raison de céder à la peur de forcer le passage, dans la mesure où la barrière ne se levait pas toute seule ! Au bout du compte, le client est l’ultime bénéficiaire de votre audace. Et il vous en remerciera plus tard, car de son point de vue, un processus d'achat qui s’éternise est non seulement fastidieux, mais aussi contre-productif, puisque cela repousse d’autant le moment d’obtention des bénéfices pressentis. »
Et le troisième point, vous demandez-vous ?
« Le troisième point », déclare Clément, « c’est le fait, face à une situation de vente inconnue, d’oser demander conseil à des personnes ayant vécu la même chose. C'est sans doute une banalité, mais cela ne me semble pas inutile de le rappeler. Il est cependant fondamental que le conseil reçu nourrisse votre réflexion, mais que vous restiez le patron de la décision finale. Ne serait-ce que pour sentir dans son corps, ce que cela requiert comme courage, ou comme maîtrise de ses émotions. Et aussi pour mesurer l'impact que votre geste aura par la suite. Chaque situation est différente, et le but est de comprendre ce qui se passe pour mesurer les résultats et être encore meilleur par la suite. Dans notre cas, un grand merci à Jean-Marc sans qui nous n'aurions pas eu la bonne lecture de la situation ni la capacité de la débloquer. »
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