Lorsque j’anime des formations commerciales, je demande régulièrement des retours aux participants pour savoir ce qui leur a le plus plu.
Récemment à la question de savoir ce qui l’avait le plus marquée, Léa, une participante, répondit : « Depuis le début de cette formation, je me rends compte que tu nous fais basculer du JE au TU ». C’est sans doute le plus beau compliment que Léa pouvait me faire.
En effet, pour des raisons qui me paraissent on ne peut plus obscures, les vendeurs ont tendance à parler à la première personne. Moi, moi, moi… Mon offre fait ci, mon offre fait ça… Cà, c’est au moment de la « déballe », c’est-à-dire lorsque le commercial présente ou démontre son offre. Mais la litanie du « moi, moi, moi, nous, nous, nous » ne s’arrête pas là. Lorsque le client énonce ses préoccupations de mise en œuvre, le commercial dira « ne vous inquiétez de rien », suivi au choix d’un « nous ferons tout » ou d’un « c’est facile ». Enfin, au moment de la conclusion, le commercial tentera de résister aux demandes de rabais en expliquant « je voudrais bien, mais je ne peux pas ». Je, je, je… Narcisse est aux commandes, même quand il fait aveu d’impuissance.
Depuis l’émergence ici ou là de sociétés spécialisées dans d’analyse et le décryptage en temps réel des conversations de vente, nous disposons de données objectives sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. C’est pourquoi je peux affirmer avec autorité que la démarche de vente centrée sur le « JE » est vouée à l’échec. Et a fortiori si le processus de vente en place renforce le narcissisme ambiant à travers des étapes dont les libellés renvoient à des actions du commercial : j’ai pris un RENDEZ-VOUS, j’ai fait « ma » PRESENTATION, j’ai fait « ma » DEMO, j’ai fait « ma » PROPOSITION… A l’inverse, dans l’optique qui consiste à privilégier le « TU », le processus de vente aura des étapes très différentes illustrant cette fois les progrès réalisés par le client dans sa démarche d’achat de vos produits et services. Vous aurez par exemple pour étape le fait que le client ait reconnu un ENJEU, qu’il visualise une SOLUTION embarquant votre offre, qu’il vous donne ACCES AUX DECIDEURS, qu’il négocie avec vous une PLAN D’EVALUATION PARTAGE, qu’il valide les CONDITIONS JURIDIQUES, etc. En termes d’interaction aussi, tout change : finies les présentations (et croyez-moi, ce n’est pas parce que vous remplacerez le mot présentation par celui de pitch aux connotations plus anglo-saxonnes, donc plus modernes, que cela changera grand-chose). Au lieu de dire « je vais vous montrez mon offre » (expression jugée la moins efficace dans la vente selon Gong), vous allez privilégier des formulations comme « Imaginez, la situation suivante… comment vous sentiriez-vous si… vos collaborateurs pouvaient faire ci et ça…». Et, ô surprise, l’expression « imaginez » apparaît, toujours selon Gong, comme l’expression la plus fortement corrélée au succès dans la vente.
Tout cela n’est valable, bien sûr, que si vous restiez maîtres de l’agenda et ne deveniez pas les bene oui oui de la relation, disant oui à toute demande du client. Dans ce cas extrême, le soi-disant centrage client s’apparenterait à de la servilité pure et simple. Accueillir l’autre, le TU, n’est pas s’aplatir devant l’autre à travers des formules obséquieuses. Susciter l'expression du TU, c’est, dans la lignée des travaux d’Emmanuel Levinas, accepter l’inconnu de l’autre, sa part de silence et d’indéterminé. C’est éviter de le rabattre dans les plis du connu pour vous mettre à son écoute ; c’est éviter de procéder à des identifications qui effacent l’altérité radicale. C’est vous montrer ouvert au mystère de l’autre.
En professionnelle de la vente, Léa sait que le basculement vers le TU n’a rien d’évident : « A la fois car cela change radicalement la structure de notre langage et l’impact inconscient que nous avons sur la personne en face. Mais c’est le plus grand challenge pour nous. Nous sommes tellement habitués à parler de nous que nous en avons oublié les autres ». Pourtant, ce basculement n’exige pas l’abandon du JE. Bien au contraire, votre questionnement et votre écoute engagent votre responsabilité. Et c’est dans votre ouverture à l’autre, dans votre façon d’aider votre interlocuteur au dévoilement de ses enjeux, de sa solution, de ses doutes, de ses croyances que vous affirmerez votre propre individualité, votre JE, reflété dans le regard de l’autre.
Voilà enfin le JE et le TU réconciliés.
Amazing sales information.
Rédigé par : Declan Lawton | 13/04/2020 à 08:03