A plusieurs reprises (ici et là), j'ai eu l'occasion de mettre en garde contre les dangers intrinsèques liés à l'utilisation de la méthode BANT.
La méthode BANT - acronyme de Budget, Autorité, Need (besoin) et Temps - a été développée à l'origine chez IBM dans les années 60. Oui, je sais, ça ne nous rajeunit pas... Elle a été conçue pour identifier des projets liés à l'acquisition de mainframes, ces gros ordinateurs dont la marque aux trois initiales emblématiques a été le leader incontesté pendant des décennies. Idéale pour aller chercher des budgets, la méthode BANT est très bien adaptée pour les leaders de chaque catégorie de marché. Si je m'appelle Oracle, il me suffit d'aller chercher des budgets bases de données pour avoir la quasi-assurance qu'ils tomberont dans mon escarcelle. Pareil pour SAP sur les ERPs, Google sur la publicité en ligne ou Salesforce pour le CRM. Maintenant, pour peu que vous n'ayez pas un nom aussi prestigieux que ceux que je viens de citer et que votre société, une startup, intervienne sur un domaine encore peu référencé, croyez-vous que des budgets auront été alloués pour vous, ou ne serait-ce que pour la catégorie de marché sur laquelle vous opérez ? C'est peu probable. Par suite, aller chercher des BANTs dans pareil contexte devient illusoire, pour ne pas dire contre-productif.
Maintenant, laissons de côté le bon vieux BANT pour nous intéresser à une autre de ces méthodes de qualification très à la mode. J'ai nommé MEDDIC (ou MEDPICC ou encore MEDPICCC) selon les courants de pensée. Contrairement au BANT plutôt utilisé lors des phases de détection d'opportunités et donc par des populations de type BDRs ou SDRs, MEDDIC se veut une méthode de qualification d'affaires en portefeuille. Elle est plutôt d'usage chez ou auprès des commerciaux de terrain.
Là encore, intéressons-nous à la genèse de cette méthode. Elle a été inventée durant les années 90 par Jack Napoli, alors qu'il était directeur commercial chez PTC. A cette époque, PTC était la société leader dans le domaine de l'édition de logiciels de conception assistée par ordinateur. Depuis lors, de l'eau a coulé sous les ponts et la société PTC a été largement distancée par Dassault Systèmes, en dépit de méthodes de vente réputées très agressives.
Comme pour le BANT, les lettres de MEDDPICCC renvoient toutes à une idée clé, ou encore un critère de qualification :
- M pour "metrics" (indicateurs)
- E pour "economic buyer" (décideur économique)
- D pour "decision process" (processus de prise de décision)
- D pour "decision criteria" (critères de décision)
- P pour "purchasing process" (processus d'achat)
- I pour "identified pain" (problème identifié)
- C pour "champion"
- C pour "compelling event" (événement déclencheur)
- C pour "competition" (concurrence)
Comme le BANT, cette méthode a le mérite de constituer une "checklist" des choses à vérifier pour savoir si tout va bien.
Pourtant, là encore, la méthode est marquée par les conditions de son origine. Née au sein d'un groupe leader, elle accorde peu d'importance à ce qui précède la phase d'évaluation.
Regardons en effet comment un client achète dans un contexte B2B :
Regardons maintenant comment BANT et MEDDPICC se positionnent autour de la démarche d'achat client :
Rien ne vous frappe ?
Observez cette concentration des points de validation au démarrage de la phase d'évaluation. Cela traduit le fait que les sociétés où sont nées ces méthodes étant chacune leader dans sa catégorie, elles n'avaient que peu d'effort à faire pour créer de la demande. Par souci d'efficacité, elles se concentraient plutôt dans le fait d'écumer tous les budgets dédiés à leur domaine d'excellence via le BANT, puis veiller à ce que l'exécution commerciale fût exemplaire via MEDDPICCC.
Pour autant, le couplage de BANT et de MEDDPICCC permet-il de couvrir toues les étapes du parcours d'achat ?
Non.
Et ce qui est plus grave, c'est que le point clé sur lequel devrait se fonder toute démarche de vente - le fait d'aider un client à visualiser une solution à son problème, liée à des modalités précises d'utilisation de votre offre - n'est pas couvert. Or, c'est précisément ce point-là sur lequel toute startup doit exceller.
BANT et MEDDPICCC sont des enfants de la belle époque des années 60-90, quand internet n'existait pas encore. Ces méthodes, nées chez des leaders, sont idéales pour aller chercher des projets tout prêts, mais pas pour aider les clients à imaginer de nouveaux.
Voilà pourquoi, chers patrons de startups, je vous invite à considérer avec prudence ces méthodes datées. Et plutôt que de vous appuyer sur des schémas de qualification conçus par des sociétés ayant pignon sur rue pour des sociétés ayant pignon sur rue, je ne saurai trop vous inviter à partir de la façon dont vos clients achètent vos produits ou services et à imaginer comment rendre cette expérience aussi gratifiante que possible pour vos clients.
Car c'est en aidant vos clients à visualiser une solution d'achat orientée autour de l'utilisation de vos produits et services, c'est en les amenant à verbaliser la valeur qu'ils associent à cette solution, que vous les amènerez à accélérer leurs prises de décision en votre faveur et que vous tisserez avec eux les liens indispensables à l'instauration d'une relation riche et fructueuse dans la durée.
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