Tout le monde s’accorde à dire que pour vendre, rien de tel qu’une belle démonstration de ROI, le sacro-saint retour sur investissement. Comment résister, vous diront les tenants de cette approche, à un calcul mettant en lumière un ROI de 100% sur 1 an. Quel client serait suffisamment idiot pour ne pas signer, une fois établie la démonstration formelle qu’en investissement 1 euro, il aura non seulement récupéré son investissement initial au bout d’un an, mais qu’à l’issue de cette même période, il aura gagné un euro en plus ?
Et pourtant… Je ne compte plus le nombre de situations où des commerciaux reconnaissent, la mort dans l'âme, avoir perdu une affaire en dépit de la mise en évidence d’un retour sur investissement pharaonique.
Eh bien, au risque de faire figure de fou, de fada, je dirais que cela est normal. En effet, en matière de justification économique, comme dans beaucoup d’autres domaines, ce n’est pas la valeur objective calculée qui compte ; c’est l’identité de celui qui l’énonce.
Je m’explique.
Si le calcul du ROI est énoncé sur la base des chiffres du vendeur, il ne vaut pas tripette.
En revanche, si ce même calcul repose sur des hypothèses émises par le client, alors il sera réputé fiable.
Récemment, les experts de Gong, une société spécialisée dans l’analyse en temps réel des conversations de vente, sont arrivés à une conclusion identique (voir le point n°34 de l'article ici).
Quelques chiffres d’abord.
Après avoir analysé quelques dizaines de milliers de conversation de vente, ils ont pu observer qu’il existait une corrélation négative entre présentation de ROI et taux de conversion. Plus précisément, les affaires sur lesquelles le vendeur présentait un calcul de ROI se caractérisaient par un taux de conversion inférieur de 27% à celles sur lesquelles ce travail n’avait pas été réalisé.
L’explication avancée pour expliquer de résultat expérimental contre-nature est éclairant.
Selon les experts de Gong, la mise en évidence d’un ROI stimule les aptitudes analytiques du cerveau. A la présentation de votre tableau Excel, votre interlocuteur client met immédiatement son esprit critique en marche.
« Mais, dites-moi, sur quelles hypothèses avez-vous bâti votre analyse ? » ou encore « Qu’est-ce qui vous autorise à considérer que notre performance va augmenter de X% ?», « S’agit-il de chiffres à vousou à nous ? », voilà autant de questions qui vous indiquent que le cerveau de votre vis-à-vis est en ébullition et que vous êtes plutôt mal barré. Car vous aurez beau dire que vos hypothèses sont « conservatrices » - je ne connais pas un vendeur qui n’ait pas cette phrase à la bouche dans ce genre de situation – rien n’y fera. Du seul fait que les chiffres émanent de vous, c’est toute la démarche qui sera réputée sujette à caution [1].
Alors comment sortir de l’ornière ?
De deux façons.
D’abord, en vous bornant à ne mentionner que les seuls éléments d’amélioration de la performance issus de la bouche d’interlocuteurs clients et en vous rappelant systématiquement la source de vos chiffres.
Ensuite, en présentant les résultats de la façon la plus simple, voire simpliste qui soit. Sur ce registre, les experts de Gong recommandent une présentation de type « Avant » / « Après » dans laquelle tous les chiffres émanent du client. Quant à l’aspect économique des choses, je vous invite à vous limiter à un calcul aussi élémentaire qu'irréfutable. Quelque chose que vous puissiez énoncer comme : « Sur la base de vos chiffres, votre situation actuelle vous permet de générer X. Avec l’utilisation de nos produits et services, vous estimez que vous pourriez générer Y. Par suite, la valeur induite par l’utilisation de nos produits et services se monte donc à Y-X. » En somme, épargnez-vous le travail fastidieux que représente la réalisation d’un tableau prévisionnel de trésorerie ; contentez-vous de répéter ce que vous avez entendu de la bouche de vos interlocuteurs et faites valider par vos interlocuteurs les conclusions logiques qui en découlent sur le plan économique.
La beauté de cette approche, c’est qu’elle allie efficacité et économie de moyens. Efficacité, parce que, les chiffres utilisés provenant du monde du client, son esprit critique ne trouvera aucune prise pour objecter quoi que ce soit. Economie de moyens, aussi, car au lieu de vous inscrire dans une logique d’effort, vous adoptez la posture humble de celui ou celle qui présente le miroir au client afin qu’il se reconnaisse dans l’exposé de la proposition de valeur.
Et quand l’efficacité rejoint l’économie de moyens, nous nous trouvons à ce qui s’apparente le plus à de l’élégance, cette forme rare de raffinement qui nous fait tant défaut, dans ce monde de brutes.
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[1] En forçant le trait, j’aurais tendance à dire que la valeur économique qu’un client associe à un investissement est le résultat de la multiplication suivante : (valeur générée) x (coefficient de pondération compris entre 0 et 1 illustrant le degré de confiance attaché à la source d’énonciation). Autant vous dire qu'en début de relation, le coefficient de pondération se situe très près de sa borne inférieure, à savoir 0. Cela vous donne une idée, soit dit en passant, de l'intérêt associe à la présentation de feuilles de calcul de ROI sur les sites web de sociétés commerciales ! J'ai déjà eu l'occasion de m'en expliquer sur cette tribune, ici.
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